Le roman congolais de langue française : état des lieux (Le Potentiel / La Conscience)

De plus, le roman est destiné à une large diffusion et doit, à ce titre, être livré à un grand public. D'où la nécessité des maisons d'édition qui contribuent à son lancement. Or, celles-ci à l'heure actuelle, n'existent presque plus dans notre pays et le coût financier pour la réalisation d'un roman est souvent élevé par rapport à un recueil de poèmes ou une pièce de théâtre.

La période coloniale

Durant la période coloniale, les Congolais -même les très rares scolarisés- ont été peu initiés aux secrets de la culture moderne en général et de la littérature en particulier. Ainsi, dans cette atmosphère obtuse, la liberté d'expression n'était que l'apanage de la classe dirigeante coloniale et il va de soi que les conditions étaient loin d'être réunies pour permettre l'éclosion du roman de langue française au Congo-belge.

Même dans la société post-coloniale où l'élite intellectuelle -de plus en plus nombreuse- a fait surface, où la liberté d'expression est garantie par la constitution, on constate cependant que la création romanesque stagne toujours. C'est que d'autres facteurs négatifs y ont subsisté. Parmi ceux-ci, relevons principalement le fait que l'élite intellectuelle congolaise s'adonne très peu aux choses de l'esprit. Elle préfère la loi du moindre effort et consacre le plus clair de son temps à la consommation de la bière qu'à la lecture. D'autres, il existe encore dans le pays une critique littéraire non suffisamment objective et exigeante qui aurait pu aider surtout les jeunes talents à s'épanouir. Aussi, les romanciers congolais qui ont émergé et/ou émergent dans ce domaine se comptent encore sur les bouts des doigts.

De toute cette période, une seule œuvre narrative mérite d'être mentionnée : Ngando (le crocodile) de Paul Lomami Tshibamba primé en 1948 au concours littéraire de la Foire coloniale de Bruxelles. Ce texte est essentiellement un conte romancé où, en plus de ses préoccupations littéraires, l'auteur y illustre la manière dont les Bantu conçoivent l'univers, les êtres et interprètent les causes des phénomènes et des manifestations de la nature.

La période post-coloniale

Pendant les cinq premières années de l'Indépendance, un seul roman est à signaler dans la tradition de roman classique. C'est le texte de Thomas R. Kanza (décédé cette année aux Etats-Unis) intitulé Sans rancune publié à Londres en 1965. Ce récit retrace la vie d'un étudiant noir en Belgique après une vie calme et heureuse dans son village.

Dans la deuxième décennie de la période post-coloniale, Zamenga Batukezanga (décédé en 2000) inaugure un courant ethnologique dans la littérature narrative de la langue française par son style et la simplification de sa facture. Les plus connues de ses veuves sont : Les hauts et les bas (1971), Souvenirs du village (1971), Bandoki, les Sorciers (1972), Terre des ancêtres (1974), Carte postale (1976), etc.

Mais c'est avec Entre les eaux (1973) de V.Y Mudimbe que le roman congolais de langue française reçoit ses lettres de noblesse et perce sur l'échiquier international. Ce roman de classe international sera suivi, en 1976, du Bel immonde ; en 1979, de L'Ecart et en 1989 de Shaba deux. L'œuvre romanesque de Mudimbe est remarquable d'abord par l'analyse psychologique des personnages et ensuite par la problématique qu'elle pose. Par exemple, Pierre Landu, dans Entre les eaux est un prêtre africain fortement occidentalisé qui se sent écartelé entre des exigences contradictoires. Sa vocation de prêtre et le désir de servir son peuple va le pousser jusqu'à entrer dans le maquis des rebelles : Ne réussissant pas à s'adapter à ce monde trop brutal, il revient vers son couvent.

Quant à l'écriture, elle est simplement fabuleuse : une rare maîtrise de la langue française alliée à une richesse des mots, des images fait de ce roman l'un des plus beaux de toute la production littéraire africaine des années 1970. C'est pour cette raison qu'à sa parution, le critique littéraire belge, Jean-Pierre Jacquemin l'a qualifié de premier roman zaïrois de classe internationale. Le même thème du désarroi de l'intellectuel africain coupé de ses racines se retrouve dans les récits de Ngal : Giambatista Viko ou le viol du discours africain (1975) et L'Errance (1979).

Les deux décennies 1980-1990 marquent, pour reprendre l'expression du professeur Georges Ngal, l'âge du roman (par rapport, sous-entendu à la poésie et au théâtre). Le dynamisme de ce dernier est dû essentiellement à la production littéraire de la diaspora congolaise en Europe et en Amérique du Nord, principalement au Canada.

 

De Paris où il a vécu pendant de nombreuses années avant de se retrouver actuellement à Louisiane aux Etats-Unis d'Amérique, Pius Ngandu Nkashama a rythmé la vitalité du roman congolais en langues française et congolaise (Ciluba) avec plus d'une dizaine de titres : Le fils de la tribu (1983), La malédiction (1983), Le pacte de sang (1984), La mort faite homme (1984), Des mangroves en terre haute (1991), Le doyen marri (1994), Yakouta (1995), etc., textes qui mêlent affabulations et événements réels survenus en Afrique dans un passé récent des dictatures tropicales ; Thomas Mpoyi Buatu (La Re-production, 1986), Georges Ngal se signale avec un troisième roman Une saison de symphonie (1994) ; Antoine Tshitungu Kongolo est auteur de Fleurs dans la boue (1995) ; Maguy Kabamba -première romancière congolaise- livre à son public La dette coloniale (1996) ; A.S. Nzau, Bolya Baende et Achille F Ngoye se signalent de Paris où ils vivent dans le roman policier respectivement avec des titres comme Traité au Zaïre (1984) pour Nzau ; Cannibale, La Polyandre (1998) et Les cocus posthumes (2001) pour Baende ; Agence Black Bafoussa (1996), Sorcellerie à bout portant (1998), Yaba Terminus (1999), Big Balé (2001) et Ballet noir à Château-rouge (2001) pour Ngoye, etc.

Au pays, quelques noms méritent d'être cités : Buabua wa Kayembe Mubadiate (Mais les pièges étaient de la fête, 1986 et Dieu sauve l'Afrique, 1996) ; Djungu Simba (Cité 15, 1988 ; On a échoué, 1989) ; Emongo Lomomba (L'Instant d'un soupir, 1989), etc.

Bien de ces textes, avec plus ou moins de bonheur, dénoncent les injustices et les aberrations des tyrannies politiques aveugles dans le contexte africain post-colonial en général. Les écrivains, comme s'ils s'étaient donnés un mot d'ordre commun, ne pouvaient se taire et fermer les yeux devant tant d'atrocités. Ils se sont sentis investis de la mission de répercuter les cris des opprimés et des affamés en vue de susciter une conscience de l'histoire. L'écriture romanesque s'offre comme ce lieu de l'exorcisme et de la vérité. On assiste au dévoilement des turbulences et au procès de la démocratisation en panne de démarrage effectif et sincère. En illustre le roman de Mukala Kadima Nzuji, La Chorale des mouches (1973).

Parti des bases très modestes, le théâtre congolais de langue française s'est enrichi au fil des années de plusieurs œuvres de valeur dont la plupart n'ont pas encore été éditées. De nos jours, il connaît un développement remarquable. A cet effet, il est beaucoup plus joué qu'écrit.

La période coloniale

Durant cette période, le théâtre congolais de langue française est essentiellement marqué par des sketches vantant souvent les bienfaits de la colonisation belge et il reste dominé par la personnalité d'Albert Mongita, auteur de plusieurs saynètes et des pièces dont les plus connues sont Ngombe (1955) qui fut d'abord publié en feuilleton dans le journal Présence congolaise, puis sous la forme de fascicule ronéotypé en 1964 et Mangengenge (1956).

La période post-coloniale

C'est vers les années 1963-1964 que le théâtre congolais de langue française prend un nouvel élan. On a assisté d'abord à une prolifération de troupes théâtrales qui adaptent pour le public congolais les pièces des auteurs africains telles que La mort de Chaka du Malien Seydou Badian, Trois prétendants, un mari du Camerounais Guillaume Oyono Mbia, La Marmite de Koka Mbala du Congolais (Brazzaville) Guy Menga ou La tragédie du Roi Christophe d'Aimé Césaire. Puis des dramaturges congolais s'affirment progressivement et dominent bientôt la scène. Ce sont entre autres :

 Paul Mushiete qui publie, en 1970, en collaboration avec Norbert Mikanza, Pas de feu pour les antilopes, pièce dont la structure dramatique est encore hésitante, mais où sont développés les thèmes du respect des coutumes ancestrales et celui de la sauvegarde de la terre et de la faune ;

 Dieudonné Bolamba -fils aîné du poète Antoine-Roger Bolamba- se lance dans le monde du théâtre avec deux pièces à caractère socio-politique : Ngongo Lutete, sélectionné en 1970 au concours de l'Office de Radio et de Télévision française (Ortf) parmi les meilleures pièces africaines et qui retrace la vie d'un tyran africain sanguinaire dont la pièce porte le titre, et Geneviève, martyre d'Idiofa qui remporta en 1967, le prix de la Littérature et des Arts du ministère de la Culture. Cette pièce, qui s'inspire des événements tragiques de la rébellion du Kwilu, retrace le drame d'une jeune religieuse sommée de choisir entre les rebelles et sa vertu ;

 Charles Ngenzhi, prêtre catholique jésuite de son était, lauréat du concours littéraire Léopold Sédar Senghor de 1969, auteur de La fille du forgeron où il pose le problème du conflit entre l'amour incestueux et le respect de la loi coutumière ;

 Mikanza Mobyem (nouvelle appellation à la faveur de la politique de l'authenticité), le dramaturge congolais le plus fécond dans les années 1970-1980, a commencé par des pièces d'adaptation telles que Allo ! Mangembo Keba 1973), qui est une adaptation de Revizor de Nicolas Gogol et Mundele Ndombe (Blanc à peau noire), adaptation du Bourgeois gentilhomme de Molière. Puis, son talent s'affirme par la publication des œuvres personnelles : La bataille de Kamanyola (1975), Procès à Makala (1977) qui est une satire sociale où l'auteur pose le problème de la responsabilité des adultes dans l'éducation des jeunes. La scène se déroule à la Prison centrale de Makala à Kinshasa (rebaptisée aujourd'hui en Centre pénitencier et de rééducation de Kinshasa), que les prisonniers transforment en un véritable tribunal devant lequel chacun confesse ses crimes et méfaits. Finalement, le procès s'élargit à toute la société ; Notre sang (1992) et Tu es sa femme (1993) ;

 Pïus Ngandu Nkashama inaugure le théâtre politique avec La délivrance d'Ilunga (1977) qui se poursuivra plus tard avec d'autres pièces : Bonjour Monsieur le Ministre (texte publié sous le pseudonyme de Bakel Elimane), L'Empire des ombres vivantes (1991) et May Bult de Santa Cruz (1993) ;

 Buabua wa Kayembe a publié Les Flammes de Soweto (1979), un pièce qui constitue un réquisitoire contre l'Apartheid en Afrique du Sud et qui s'articule autour de la vie et de la mort de Steve Biko. Ce dernier, dirigeant noir d'une organisation estudiantine, fut arrêté et exécuté en septembre 1977 à la prison de Pretoria. Par contre, Le délégué général (1981) retrace l'itinéraire d'un homme qui, en dépit de ses frasques à l'égard de la société, se trouve de façon inattendue propulsé au poste de délégué général dans une importante entreprise de la place. Il dilapide les fonds et conduit cyniquement une entreprise jadis florissante à la faillite. C'est ce mal devenu monnaie courante et incurable dans le pays de l'auteur, que décrit et dénonce avec force cette œuvre moralisatrice.

A Mikanza Mobyem qui semblait jouir d'une chance exceptionnelle pour la publication de ses pièces, s'ajoutent deux autres dramaturges. Le premier, Katende Katsh M'Bika, s'est signalé comme le plus prolifique des dramaturges au Katanga dans les années 1980 a, à son actif, six pièces éditées : A la croisée des chemins (1984), Ton combat femme noire (1985 ; réédition 2001), L'arbre tombe (1986), Le sang ou le passé est-il mort ? (1986), Demain…un autre jour (1988) et Mon prochain est un miroir (2001).

Le second, Kadiebwe Muzembe Nyanya, prêtre catholique scheutiste de son état et missionnaire depuis plusieurs années au Cameroun, a livré au public quatre pièces éditées : Le sorcier africain (1981), L'anti-sorcier et la science (1993), L'indépendance à tout prix (1993) et La sentence des opprimés (1995).

D'année en année, le théâtre congolais de langue française s'affirme et s'impose comme un genre aussi important que la poésie et le roman. Comment s'explique l'essor spectaculaire ? Contrairement au roman et à la poésie, le théâtre reste le moyen littéraire privilégié pour l'écrivain qui veut diffuser rapidement ses idées. En effet, qu'on sache lire ou pas, l'essentiel dans une représentation théâtrale est qu'on comprenne ce que disent les acteurs. Le message ainsi transmis est écouté directement par plusieurs spectateurs et non par un lecteur, comme c'est le cas dans le roman ou d'un poème.

Le deuxième élément qui favorise l'essor dramatique est la liberté d'expression que les premiers jours d'indépendance ont accordé aux Congolais. Le théâtre devient alors une résistance contre le néo-colonialisme. Le théâtre contemporain est donc une littérature de résistance.

A ces deux facteurs, il convient d'ajouter l'organisation qui voit le jour dans le Congo indépendant avec la prolifération des troupes théâtrales, soit du type amateur, soit du type professionnel. Aux troupes et à la création en 1971 de l'Institut national des Arts (Ina), Institut d'enseignement supérieur dont la mission est de promouvoir les diverses activités relevant du théâtre et de la théâtralité, il faut signaler l'action des maisons d'édition sur place qu'à l'étranger ainsi que les concours de l'Ortf-Daec, devenu par la suite le concours théâtral interafricain. Tous ces éléments favorisent le développement du théâtre congolais contemporain.

Professeur Alphonse Mbuyamba Kankolongo
Directeur du Centre d'Études et de Diffusion de la Littérature Congolaise (Cedilic)

© Le Potentiel

 

 

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