06.05.08 Cinq questions à Gaspard-Hubert Lonsi Koko (Pot)

1.
Vous avez travaillé sur la complexité des relations franco-africaines
dans votre ouvrage intitulé « Mitterrand l’Africain ? ». Comment
interprétez-vous le coup de main décisif donné par l’armée française au
Tchadien Idriss Deby en février dernier pour repousser l’attaque
rebelle ?

L’intervention de la France en faveur du régime en place à N’Djamena
n’a étonné aucun observateur averti. En agissant ainsi, la France a
intentionnellement démontré à Deby qu’elle pouvait, à tout moment,
permettre le changement ou le maintien d’un quelconque régime au Tchad.
Remémorons-nous de l’affaire de l’ « Arche de Zoé ». C’était aussi une
façon, peu élégante certes, de rappeler au président tchadien qu’il
devait coopérer dans cette affaire. Indépendamment de cette affaire, la
France n’a nullement l’intention de quitter le Tchad et n’éprouve aucun
intérêt à lâcher un président qui lui a toujours été fidèle. Le soutien
de la France à Deby a été un des gages que la politique africaine de la
France n’a pas évolué d’un iota après le départ de J. Chirac.

2. Nicolas Sarkozy a-t-il intégré le moule de la « Françafrique » ?

Contrairement à ses déclarations relatives aux éventuels changements
dans les relations franco-africaines, lors de la campagne
présidentielle de 2007, Sarkozy a agi de la même façon que ses
prédécesseurs de la V ième République à ce poste. N’oublions pas que la
première mission d’un président de la République française, qu’il soit
de gauche ou de droite, consiste à défendre par tous les moyens les
intérêts de son pays. Or, nul n’ignore les enjeux énormes qui lient la
France à certains pays d’Afrique sur les plans géopolitique,
géostratégique, économique, culturel…

De toute évidence, le séjour maltais du président Sarkozy, à
peine élu, sur le Yacht privé de V. Bolloré- quand on connaît le lien
existant entre ce dernier et le continent africain !-, augurait déjà la
poursuite de vieilles habitudes de la Françafrique. Pour faire évoluer
les choses autrement, le président Sarkozy doit affronter quelques
lobbies : militaire, pétrolier, industriel, etc. L’homme, me
semble-t-il, ne peut que difficilement contrarier ceux qui l’ont fait
roi. Les paroles d’un candidat à une élection ne garantissent pas
forcément ses actes une fois aux affaires. Il y’a de très fortes
chances que, vu de Paris, la continuité reste la règle s’agissant des
relations franco-africaines.

3. Jean-Marie Bockel, ancien secrétaire d’Etat à la
Coopération et Francophonie, a été sacrifié à l’autel de « Françafrique
». A-t-il eu tort d’appliquer au premier degré les critiques de Sarkozy
sur les relations entre la France et l’Afrique dans son discours au
Cap, en Afrique du Sud, le 28 février dernier ?

Je tiens à souligner le courage de Bockel, car il n’est pas du tout
facile de bousculer, en très peu de temps, les pesanteurs propres aux
relations vieilles de plusieurs années entre la France et l’Afrique.
Bockel n’ignorait pas, en clamant haut et fort son intention de
réformer l’existant, le limogeage, à la demande des chefs d’Etat
africains, de J.P. Côt, l’ancien ministre de la Coopération et du
Développement de F. Mitterrand. Néanmoins, il n’a pas pensé – est-ce à
dessein – au principe « pasquaïen » selon lequel les promesses
n’engagent que ceux qui veulent bien les écouter. Encore une fois, à
travers ce remaniement ministériel, le pragmatisme a eu le dernier mot
sur l’utopie. La continuité a fini par damer le pion à l’innovation.

Il est certain qu’en ayant insisté sur la mauvaise gouvernance,
le gaspillage des fonds publics, l’incurie de structures
administratives défaillantes, la prédation de certains dirigeants…pour
justifier les éventuelles réformes en matière d’aide française au
développement. Bockel a suscité le courroux de grands manitous, aussi
bien africains qu’européens, de la « Françafrique ».

4. Selon vous, pourquoi la France n’arrive-t-elle pas à faire évoluer sa politique vis-à-vis de l’Afrique ?

La France a encore besoin du continent africain pour moult raisons :
un champs d’expérimentation propice aux exercices militaires, une
quantité de voix sûres dans les instances onusiennes, un standing
international rassurant vis-à-vis de grandes puissances comme les
Etats-Unis, la Grande Bretagne, le Japon, la Russie…
La realpolitik veut que les intérêts nationaux priment sur un
quelconque partenariat. Alors pourquoi la France fera-t-elle évoluer à
son détriment, et par sa propre initiative, une politique qui, jusqu’à
présent, lui est favorable ? Tant qu’il n’existera pas une réelle
volonté des Africains de passer à autre chose, la France privilégiera
le statut quo. Bref, elle garde les liens avec les pays africains par
pure solidarité. En réalité, sa crainte réside dans « le complexe de
Fachoda » : c’est-à-dire elle a peur de voir d’autres puissances,
notamment la Grande Bretagne et les Etats-Unis(sans oublier maintenant
la Chine), assurer la relève en son absence.

5. La fin de la «Françafrique» est-elle possible ?

A cœur vaillant, rien n’est impossible. Avec la mondialisation, tout
est favorable à l’Afrique pour revoir des accords signés avec la France
et certains pays européens. Il revient donc aux parlements de
différents pays d’Afrique, voire à l’Union africaine, de prendre des
initiatives, au regard de la France et de l’Union européenne, allant
dans le sens d’une révision des accords existants dont l’obsolescence
saute aux yeux du commun des mortels. Tout est question de volonté
politique.

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