14/10/16 HRW-UE : Appel à imposer des sanctions ciblées à l'encontre de hauts responsables en République démocratique du Congo

Nous vous écrivons pour partager avec vous les dernières recherches de Human Rights Watch sur la République démocratique du Congo
et vous exhorter à soutenir des mesures vigoureuses, notamment
l'application de sanctions ciblées, dans les conclusions du Conseil
affaires étrangères sur la RD Congo qui doivent être adoptées le 17
octobre. Agir maintenant pourrait empêcher la situation en RD Congo
d’échapper à tout contrôle dans les prochaines semaines – avec
potentiellement de graves répercussions violentes à travers la région.

Des activistes
pro-démocratie manifestent contre les reports des élections, à Kinshasa,
capitale de la République démocratique du Congo, le 19 septembre 2016.



Moins de 10 semaines avant le 19 décembre, date butoir à laquelle le
président Joseph Kabila est censé quitter ses fonctions au terme de son
second et dernier mandat autorisé par la constitution, les autorités
congolaises ont délibérément retardé les projets d’organisation
d’élections, le président Kabila a refusé à maintes reprises de déclarer
en public s’il quittera ses fonctions, et ceux qui lui sont loyaux ont
systématiquement cherché à faire taire, réprimer ou intimider la coalition grandissante de voix appelant au respect de la constitution.

La crise a atteint de nouveaux sommets lors de la semaine du 19
septembre, lorsque les Congolais à travers le pays sont descendus de
nouveau dans les rues pour protester contre l'échec de la commission
électorale à convoquer les élections présidentielles, trois mois avant
la fin du mandat du président Kabila, ainsi que le prévoit la
constitution. Les forces de sécurité ont répondu aux manifestations en
utilisant de la force meurtrière excessive et injustifiée, tuant au
moins 56 personnes dans la capitale, Kinshasa (voir ci-après davantage de détails sur les violences de septembre).

Les événements du mois dernier pourraient s’avérer être un aperçu des
développements dans les prochaines semaines – potentiellement à une
échelle beaucoup plus grande – si le président Kabila n'indique pas
clairement qu'il quittera ses fonctions au terme de son mandat et qu'il
autorisera l'organisation d'élections crédibles.

Malgré ces sombres perspectives, il existe encore des possibilités d’agir pour empêcher les pires scénarios.

L'imposition de sanctions ciblées de la part de l'UE contre les
responsables des forces de sécurité et des services de renseignements et
les dirigeants gouvernementaux responsables de la violente répression
enverrait un signal clair, à savoir que les mesures répressives
entraînent des conséquences et que les déclarations de l'Union
européenne et ses États membres ne sont pas de simples menaces en l'air.
De telles actions pourraient également contribuer à prévenir plus de
violence, contenir les unités et commandants les plus violents, et
accroître la pression sur le président Kabila pour qu'il quitte ses
fonctions pacifiquement au terme de son mandat et contribue ainsi à
éviter une crise plus large. Ces derniers mois, le Parlement européen a
également appelé à maintes reprises l'UE à mettre en œuvre des sanctions ciblées.

C'est maintenant qu'il faut agir – avant que davantage de cadavres ne
jonchent les rues et qu'il ne soit potentiellement trop tard pour
convaincre le président Kabila de changer de cap.

Veuillez trouver ci-après un résumé de nos recherches sur les
violences perpétrées à Kinshasa lors de la semaine du 19 septembre. Nous
publierons prochainement un rapport sur ces conclusions.

Pour de plus amples informations sur la crise en RD Congo, veuillez consulter le lien ci-après :

https://www.hrw.org/fr/news/2016/09/18/la-republique-democratique-du-congo-au-bord-du-precipice-mettre-fin-la-repression-et

Répression lors de la semaine du 19 septembre

Lors des manifestations à Kinshasa les 19, 20 et 21 septembre, des
membres des forces de sécurité congolaises ont tué au moins 56
personnes, selon les recherches de Human Rights Watch. Le nombre réel de
victimes pourrait être beaucoup plus élevé. Human Rights Watch a reçu
des rapports crédibles sur la mort de plus de 30 autres personnes tuées
par les forces de sécurité que nous sommes en train de vérifier.

La plupart des victimes ont été tuées lorsque les forces de sécurité
ont tiré sur des foules de manifestants. D'autres ont été tuées lorsque
les forces de sécurité ont brûlé au moins trois sièges de partis
d'opposition. Bon nombre des corps des personnes tuées ont été emmenés
par les forces de sécurité, dans ce qui semble être un effort visant à
occulter les preuves et à empêcher les familles d'organiser des
funérailles. Certains cadavres ont ensuite été jetés dans le fleuve
Congo, et plusieurs cadavres ont par la suite été retrouvés échoués sur
les rives du fleuve dans le quartier de Kinsuka à Kinshasa.

Certains manifestants à Kinshasa se sont également livrés à des actes
violents, frappant ou brûlant à mort au moins trois policiers et un
civil. Ils ont aussi brûlé et pillé des postes de police, un tribunal,
des caméras de surveillance publique, des magasins chinois, des
bâtiments associés à des responsables du parti de la majorité, et
d'autres lieux perçus comme étant proches ou représentatifs du président
Kabila et de son gouvernement.

Nos recherches ont révélé que des policiers et des membres de ligues
des jeunes mobilisés par des représentants du parti au pouvoir et des
agents des forces de sécurité étaient également impliqués dans les
pillages et la violence. Un membre de la ligue des jeunes du parti au
pouvoir a déclaré à Human Rights Watch que lui-même et d'autres jeunes
avaient été recrutés par des responsables du parti et payés environ 35
dollars américains (US$) chacun. Ils ont ensuite reçu l'ordre de
« troubler les manifestations de l'opposition et de causer des problèmes
afin de laisser croire que les violences avaient été déclenchées par
l'opposition ». Un membre de la ligue des jeunes associée au Vita Club,
une équipe de football dont le président est le général Gabriel Amisi,
un commandant de l’armée congolaise, a déclaré à Human Rights Watch
qu'il avait également été convoqué à une réunion en amont des
manifestations.

Deux responsables des services de sécurité et des renseignements ont
déclaré à Human Rights Watch que des représentants du parti au pouvoir
et des responsables des forces de sécurité avaient recruté des membres
des ligues de jeunes et des combattants démobilisés pour perturber les
manifestations. « Ils étaient là pour infiltrer les manifestations et
les faire exploser [en violences] depuis l'intérieur », aux dires de
l'un d'entre eux. « Ils devaient déclencher les troubles, ce qui
entraînerait une réaction des manifestants, justifiant ainsi la réponse
policière ».

Dans un effort manifeste d'empêcher les observateurs indépendants de
rendre compte de la répression gouvernementale, les forces de sécurité
ont arrêté huit journalistes internationaux et congolais, le dirigeant
du mouvement pro-démocratie Filimbi pour Kinshasa, et un activiste des
droits humains congolais peu après le début des manifestations du 19
septembre. Les bureaux d'une organisation éminente de défense des droits
humains et d’une plate-forme de la société civile ont aussi été
vandalisés. Le leader d’opposition Martin Fayulu, a été grièvement
blessé par une bonbonne de gaz lacrymogène qui l'a touché à la tête,
puis hospitalisé pendant plusieurs jours. Un autre leader d’opposition,
Moïse Moni Della, président du parti politique Conservateurs de la
Nature et Démocrates (CONADE), a été arrêté vers 10 heures du matin le
19 septembre, tandis qu'il se rendait aux manifestations. Des militaires
l'ont sévèrement passé à tabac avant de l'arrêter. Par la suite, il a
été accusé de s'être livré à des actes de pillage, et demeure en
détention.

Dans les jours qui ont suivi les manifestations, les forces de
sécurité ont mené des perquisitions sans mandat, maison par maison, dans
certains quartiers de Kinshasa, sous prétexte de chercher des biens qui
avaient été pillés et des armes volées de postes de police. Des
dizaines de jeunes hommes ont été arrêtés, dont un grand nombre semble
d’avoir été ciblé de manière aléatoire.

Des agents de l'immigration ont arrêté Bruno Tshibala, secrétaire
général adjoint de l'Union pour la démocratie et le progrès social
(UDPS), l'un des principaux partis de l'opposition et porte-parole de la
coalition d'opposition connue sous le nom de Rassemblement, alors qu'il
se trouvait à l'aéroport international de Kinshasa pour embarquer sur
un vol à destination de Bruxelles le 9 octobre. Il demeure en détention
et a été accusé de complot visant à perpétrer un massacre, des actes de
pillage et de dévastation, chefs d’inculpation qui semblent être motivés
par des considérations politiques.

Selon quatre responsables des forces de sécurité et des
renseignements congolais interrogés par Human Rights Watch, des membres
de la Garde républicaine – y compris des unités de la Garde républicaine
déployées en uniformes de police – sont responsables d’une grand partie
de la répression commise lors des manifestations, tirant sur les
manifestants à balles réelles et attaquant les sièges des partis
d'opposition.

« L'ordre a été donné de réprimer les manifestants afin de les faire échouer dans leur mission », a déclaré un officier. « L'ordre
reçu était de tout faire pour les empêcher d'entrer dans la Gombe [le
quartier de la capitale où la plupart des édifices gouvernementaux, la
présidence et les ambassades sont situés
] ». Un autre a rapporté que les ordres étaient d'« écraser »
les manifestations. Les membres de la Garde républicaine, les
militaires, ainsi que les policiers qui allaient être déployés à
Kinshasa la semaine du 19 septembre ont reçu des primes le 16 septembre
en guise de motivation pour une réponse forte au cours des
manifestations, selon un agent des forces de sécurité.

Plusieurs officiers ont déclaré à Human Rights Watch que le général
Amisi, commandant des forces armées de la première zone de défense qui
englobe Kinshasa et d'autres provinces de l'Ouest, et le général Ilunga
Kampete, commandant en chef de La Garde républicaine, ont dirigé un
centre de commandement des opérations à Kinshasa lors de la semaine du
19 septembre et ont donné leurs ordres aux unités des forces de sécurité
sur le terrain ayant mené la répression. Le général Amisi est impliqué depuis longtemps dans de graves violations des droits humains et a été récemment sanctionné par le gouvernement des États-Unis.

Au moins 12 responsables gouvernementaux, membres de la majoritaire
présidentielle, et officiers des forces de sécurité ont déclaré à Human
Rights Watch que l’administrateur général de l'Agence nationale de
renseignements (ANR), Kalev Mutond, a joué un rôle moteur dans la
stratégie globale de répression gouvernementale, y compris celle
intervenue lors de la semaine du 19 septembre. Il aurait aussi joué un
rôle essentiel dans le cadre d'autres exactions perpétrées à l'encontre
d’activistes en faveur des droits humains et de jeunes activistes pro-démocratie, de leaders et partisans de l'opposition, et d’autres personnes ayant participé à des manifestations ou réunions pacifiques ou qui se sont opposées aux tentatives de prolonger la présidence de Kabila.

L'Agence nationale de renseignements dirigée par Kalev Mutond a
arbitrairement arrêté des dizaines de défenseurs des droits humains, de
jeunes militants pro-démocratie et de leaders d’opposition, dont
beaucoup ont été tenus au secret pendant des semaines ou des mois, sans
faire l'objet d'un chef d'accusation et sans accès à leur famille ou à
un avocat. Certains ont fait l'objet d'un procès sur la base
d’accusations inventées de toutes pièces au cours desquels Kalev Mutond
aurait aussi joué un rôle, intimidant les juges et dictant les verdicts.
Certaines des personnes détenues par l'ANR dans le cadre de la
répression gouvernementale ont été brutalisées ou torturées, y compris
par le biais de décharges électriques infligées sur le corps et d'une
forme de quasi-noyade qui s'apparente à de la torture. Un autre
prisonnier a été contraint à s'allonger par terre et à regarder
directement le soleil. Il lui a ensuite été intimé de faire 100 pompes
dans la boue et le gravier tandis qu'un agent de l'ANR se tenait debout
sur ses talons et le frappait à coups de branches lorsqu'il ne parvenait
pas à faire les mouvements. Des agents de l'ANR ont aussi intimidé,
menacé et harcelé à plusieurs reprises des activistes, journalistes et
leaders d’opposition dans ce qui semblerait être une campagne plus vaste
visant à propager la peur et à limiter leurs actions.

De nombreux fonctionnaires ont déclaré que le vice-Premier ministre
et ministre de l'Intérieur et de la Sécurité, Evariste Boshab, a
également joué un rôle prépondérant dans la répression au cours des deux
années passées. En qualité de ministre de l'Intérieur et de la
Sécurité, il est officiellement responsable de la police nationale
congolaise et des services de sécurité ainsi que de la coordination du
travail des gouverneurs provinciaux. Ces entités ont à maintes reprises
interdit ou réprimé des manifestations de l'opposition, emprisonné des activistes ainsi que des opposants, fermé des médias, et entravé la liberté de mouvement de leaders d'opposition.

Les conclusions de Human Rights Watch se basent sur des entretiens
menés avec plus de 50 victimes, témoins, officiers des forces de
sécurité, et autres personnes.

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