2008 – Marie -Soleil Frère « Le paysage médiatique congolais. Etats des lieux, enjeux et défis »,

Paradoxalement,alors que les médias d’information foisonnent en RDC, la diversité des contenus

et la possibilité effective d’expression des différentes composantes de la
population ne semblent pas véritablement assurées. Les médias congolais sont
certes pluriels, mais pas encore suffisamment pluralistes ; divers mais souvent
peu ouverts à la diversité ; vivants mais rarement viables ; libres mais
rarement indépendants…

Les
médias congolais sont-ils seuls à vivre ce paradoxe ? Non, bien sûr. Dans tous
les pays démocratiques, les entreprises de presse publiques et privées occupent
cette position ambiguë où tout en parlant au nom de tous, elles restent aux
mains d’une élite professionnelle ; où tout en voulant se démarquer de la
concurrence, elles cherchent, comme le voisin, à investir les créneaux
identifiés comme les plus populaires ; où elles doivent concilier des
impératifs de rentabilité avec le fait que l’information n’est pas un produit
commercial et commercialisable comme un autre.

Toutefois,
en RDC des contraintes supplémentaires pèsent sur le secteur. Dans un contexte économique
difficile, les médias disposent (hormis quelques-uns qui sont « subventionnés
» et échappent aux lois du marché) de budgets restreints et évoluent dans un
environnement où la plupart des annonceurs se désintéressent des consommateurs
insolvables. Le public des médias congolais est démuni, la moitié des Congolais
vivant avec moins d’1 US$ par jour, et les taux de scolarisation sont en
régression. Le contexte politique est marqué par les séquelles de trente années
de mobutisme et d’un conflit long, meurtrier et traumatisant qui a profondément
endommagé le tissu social et laissé se déployer les réflexes autoritaires et
l’impunité. Les infrastructures sont déficientes et le pays est confronté à
d’énormes problèmes d’approvisionnement en énergie et de transport, lourds de
conséquences pour les médias. Le monde du travail est marqué par la prédominance
de l’informel, seules quelques entreprises signant des contrats avec leurs employés
et leur assurant la couverture médicale qu’impose la loi congolaise.

Et
pourtant, en dépit de ce contexte défavorable, des médias existent, publient et
émettent tous les jours, réalisés par des Congolais pour des Congolais. Malgré
toutes leurs imperfections, leurs dérives, leurs faiblesses, ils font entendre
quotidiennement leurs voix et incarnent une liberté d’expression et de pensée
dont les Congolais ont été longtemps privés. Si certains de ces médias se
bornent à être des entreprises de duperie mercantiles, d’autres obtiennent
(parfois de haute lutte) les deniers des coopérations étrangères ou des
annonceurs locaux qui leur permettent de survivre, sans forcément perdre leur
potentiel critique et leur indépendance. Si certains se limitent à un rôle
d’instrument servile de l’élite politique, d’autres ont démontré leur capacité de
mobilisation et de conscientisation des citoyens. Si l’existence de certains a
pour but principal de générer des dividendes pour leur patron, d’autres ont
pour vocation de servir leur communauté, quitte à faire de la radio avec des
boîtes de conserve et à générer du courant avec des piles solaires
rechargeables… Bien sûr il y a des journalistes corrompus et maîtres chanteurs,
mais il y en a aussi qui se déplacent en pirogue, en moto, à pied ou à vélo
durant de longues heures, pour collecter une information utile au citoyen, tout
en se contentant d’un salaire dérisoire.

Et qui affrontent la prison, les coups et les menaces, seulement pour
avoir eu l’audace de croire en leur métier…

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