06 10 17 RFI -Ida Sawyer (HRW): «La politique des Etats-Unis vis-à-vis de l'Afrique n'est pas très claire»

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Ida Sawyer

Au Rwanda, le 4 août dernier, le président sortant Paul Kagame a
écrasé ses adversaires avec plus de 98 % des voix. Et pourtant, après
cette élection, la répression s’est accentuée. Ainsi l’opposante Diane
Rwigara vient-elle d’être arrêtée, en compagnie de sa sœur et de sa
mère. Pourquoi ce durcissement ? La chercheuse américaine Ida Sawyer est
la directrice pour l’Afrique centrale de l’ONG Human Rights Watch (HRW)
qui vient de publier un rapport sur le Rwanda. En ligne de Bruxelles,
elle répond aux questions de Christophe Boisbouvier.

RFI : Il y a eu beaucoup d’intimidations contre les opposants
rwandais avant l’élection du 4 août, est-ce que cela a changé depuis
cette élection
 ?

Ida Sawyer : Oui donc, nous à Human Rights Watch,
nous avons documenté plusieurs cas où des opposants politiques sont
arrêtés, victime de disparition forcée, et font l’objet de menaces
depuis cette élection, le 4 août de cette année. Parmi les personnes
ciblées figure Diane Rwigara qui aurait été une candidate indépendante à
l’élection si sa candidature n’avait pas été rejetée. Les membres de sa
famille sont en prison, et aussi plusieurs membres et leaders des
Forces démocratiques unifiés, c’est-à-dire des FDU-Inkingi, un parti de
l’opposition.

Alors revenons sur le cas de Diane Rwigara : elle avait
annoncé son intention d’être candidate il y a quatre mois, est-ce qu’il y
a un rapport entre cette annonce de candidature et ce harcèlement
 ?

Nous avons documenté comment ce harcèlement contre Diane Rwigara a
commencé juste après qu’elle a annoncé sa candidature en mai et, 72
heures après cette annonce et son intention de participer à l’élection
présidentielle, des photos d’elle nues ont été publiées sur des réseaux
sociaux afin visiblement de tenter de l’humilier et de l’intimider.
Selon Diane Rwigara, ces photos avaient été photoshopées. Et puis un peu
plus tard en juillet, la commission électorale nationale a rejeté sa
candidature. Donc elle n’a pas pu être candidate lors des élections et
juste un peu plus tard, après l’élection du 4 août, le harcèlement
contre elle a recommencé. Les intimidations, les interrogatoires, les
restrictions de mouvements ont continué contre Diane Rwigara et les
membres de sa famille. Et finalement le 23 septembre, Diane Rwigara et
sa sœur et sa mère ont été arrêtées et maintenant elles sont détenues
par la police à Kigali.

Sa mère, sa sœur et elle-même sont en prison. Alors on
comprend bien pourquoi les autorités ont harcelé Diane Rwigara avant
l’élection présidentielle, mais pourquoi ce harcèlement continue-t-il
aujourd’hui et pourquoi cela va-t-il jusqu’à l’arrestation
 ?

Il semble que cela fait partie des efforts des autorités rwandaises
pour montrer qu’aucune critique n’est tolérée et aussi que l’opposition
n’a pas un rôle à jouer. Il semble que cela fait partie des efforts pour
envoyer des messages effrayants à tous ceux qui oseraient remettre en
cause le statu quo ou tous ceux qui peuvent critiquer la politique du
pouvoir en place. C’est vrai que cela continue même après l’élection. Il
semble qu’on veut donner un message très clair.

Un message effrayant dites-vous, c’est-à-dire qu’il faut faire peur, qu’il faut effrayer ?

Oui, donc il semble que cette répression contre les leaders, contre
Diane Rwigara et aussi contre les membres et leaders des FDU-Inkingi,
donc tous ceux qui osent parler contre ce que le pouvoir en place est en
train de faire ou qui veulent dénoncer des violations du pouvoir… Il
semble donc que le harcèlement contre eux, cela peut avoir l’effet de
faire peur à la population.

Alors autres opposants harcelés, ceux des FDU-Inkingi, les
Forces démocratiques unies de Victoire Ingabire, y a-t-il eu encore des
arrestations ces dernières semaines
 ?

Oui, donc nous avons aussi documenté plusieurs cas d’arrestations des
membres leaders des FDU-Inkingi ces dernières semaines, y compris le 6
septembre, quand 7 membres de ce parti ont été arrêtés. Et aussi ce même
6 septembre, quand Théophile Ntirutwa, qui est le représentant du parti
à Kigali, a été porté disparu et détenu au secret pendant 17 jours,
jusqu’à ce qu’un membre de sa famille puisse lui rendre visite à un
poste de police le 23 septembre. Et par rapport au cas de Théophile
Ntirutwa, nous avons interrogé quelqu’un qui a été arrêté en même temps
que lui. Ce monsieur nous a dit : « lorsque j’ai demandé un avocat,
il m’a été rétorqué : ‘’nous te tuerons’’. Ils m’ont poussé à terre,
m’ont frappé, m’ont traité d’idiot
 ». Plus tard, un homme habillé en civil lui a enlevé son masque, a pointé un pistolet sur lui et a lancé : « si tu continues de refuser de répondre à nos questions, tu vas voir ».

Alors la présidente des FDU Victoire Ingabire elle-même a été
condamnée à 15 ans de prison pour avoir, dit la justice rwandaise, «
 minimisé le génocide »
de 1994. Et visiblement les personnes qui viennent rendre visite à
Victoire Ingabire dans sa prison prennent de gros risques elles-mêmes,
non
 ?

Tout à fait, donc la présidente des FDU Victoire Ingabire est en
détention depuis 2010 et depuis, le parti n’a été autorisé ni à
s’enregistrer ni à participer aux élections. Et ses membres ont été
harcelés et arrêtés à maintes reprises, y compris quand des membres ont
osé aller la visiter en prison. Donc par exemple il y a le cas de
Gasengayire Leonie. Elle a été arrêtée en mars 2016, juste après avoir
rendu visite en prison à Victoire Ingabire, avant d’être arrêtée une
nouvelle fois en août 2016, et encore une troisième fois juste au début
de ce mois, le 6 septembre. Et elle reste en détention jusqu’à
maintenant.

Donc pour résumer Léonie Gasengayire a été arrêtée à 3 reprises. Et aujourd’hui elle est en prison ?

Oui

Dans votre dernier communiqué, vous dites que les bailleurs
de fonds du Rwanda et les acteurs internationaux devraient condamner
cette vague de répression flagrante. Est-ce que vous pensez par exemple
que l’administration américaine est trop complaisante à l’égard du
régime rwandais
 ?

C’est vrai que le gouvernement rwandais reçoit énormément de soutiens
de ses bailleurs et partenaires internationaux, y compris les
États-Unis , la Grande-Bretagne et d’autres pays de l’Union européenne.
Et on pense qu’ils doivent aussi faire l’effort de mettre une pression
vis-à-vis du gouvernement rwandais pour le pousser à mettre fin à toutes
ces graves violations de droits humains. Ils doivent faire l’effort au
moins de les condamner.

Et en ce qui concerne les États-Unis ?

Je crois qu’au niveau de l’administration américaine, il faut prendre
le temps de mettre en place le sous-secrétaire d’État chargé de
l’Afrique, donc la politique vis-à-vis de l’Afrique n’est pas très
claire jusque-là.

Oui le monsieur Afrique du département d’État américain n’a
toujours pas été nommé par Donald Trump… Qu’en est-il de la commission
des Affaires étrangères du Sénat américain
 ?

On pense que la commission des Affaires étrangères du Sénat peut
faire beaucoup plus que ce qu’elle fait maintenant pour augmenter la
pression vis-à-vis du régime et pour ne pas fermer les yeux par rapport à
toutes les graves violations des droits humains.

Mais pour l’instant, vous n’êtes pas écoutée ?

Pas comme on le voudrait, non.

On connait le rôle important que Human Rights Watch et Alison
Des Forges ont joué il y a 23 ans pour dénoncer le génocide de 1994. Où
en sont les relations aujourd’hui entre le pouvoir rwandais et Human
Rights Watch
 ?

Je dois dire que les relations entre Human Rights Watch et le
gouvernement rwandais ne sont pas très faciles pour le moment. On
continue à faire notre travail, mais on a eu plusieurs chercheurs qui
n’ont pas été autorisés à venir au Rwanda, vu qu’ils n’ont pas reçu le
visa de travail pour continuer leurs recherches sur place. Des fois on
partage les conclusions de nos recherches avec le gouvernement, mais on
ne reçoit pas de réponse et on n’a pas les opportunités de discuter
directement avec lui de ce que nous avons documenté. Mais nous
continuons à essayer d’améliorer ce contact et nous espérons qu’on
puisse continuer à faire notre travail sans interférences et d’avoir
accès au pays pour tous nos chercheurs.

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