22 02 20/ REVUE DE LA PRESSE CONGOLAISE DE CE SAMEDI (Dialogue)

Sommaire

En ce samedi 22 février 2020, les informations intéressantes consistent essentiellement et deux nouvelles : un rapport du GEC sur l’évolution des partis politiques en RDC et la réussite des démarches de réconciliation entre Ouganda et Rwanda, à Gatuna, auxquelles la RDC et l’Angola ont apporté leurs bons offices. L’une et l’autre nouvelles ont un mauvais côté : on peut discerner dans l’évolution des partis la tentation de s’écarter de la proportionnelle, et dans les allusions faites à la « libre circulation » dans les accord de Gatuna, un pas de plus dans la direction d’un espace régional dérégulé qui est le véritable visage de la « balkanisation ».

Partis politiques

Le Groupe d’étude sur le Congo a produit un texte « Partis politiques en RDC : vers des « grands ensembles ? » que Mediacongo reprend sous le titre « Partis politiques : vers la fin des « partis mallettes ? »

« Après la multiplication des regroupements politiques à la veille des scrutins de 2018, l’on assiste désormais à une tendance inverse : les « grands partis ». Qu’en est-il ?

AA/a, AAB, AABC, AAAC, ABCE, ACC … Vous vous rappelez sans doute de tous ces sigles improbables, égrenés l’un après l’autre cette nuit-là du mercredi 9 au jeudi 10 janvier 2019, lors de la proclamation des résultats des élections provinciales et présidentielle. Sur le papier, ils représentaient, pour la plupart, des regroupements politiques affiliés au Front commun pour le Congo (FCC), la plateforme de Joseph Kabila, alors président de la République sortant. Mais, à l’intérieur, on n’y trouve souvent que des « partis tiroirs », montés de toutes pièces pour des besoins électoraux. Sur le terrain, un grand nombre d’entre eux ne dispose pas de siège social, pas d’identité visuelle, encore moins de militants.

Comment en est-on arrivé là ? Lorsque est introduit en 2017 le seuil de représentativité (1% du nombre total des suffrages valables exprimés au niveau national), ces partis factices se sont retrouvés dans l’obligation de se regrouper et d’intégrer quelques figures du principal parti au pouvoir, le PPRD.

Ce qui a permis d’ailleurs à certains de ces regroupements d’atteindre les 181 611, 82 voix exigées par la loi électorale pour participer à la répartition des sièges, selon les résultats contestés des législatives contestées du 30 décembre 2018. D’autres sont restés sur les carreaux, notamment ceux qui ont osé y aller seuls. Selon les chiffres de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) que nous avons pu consulter, seuls 32 des 74 partis et regroupements politiques, qui avaient pris parts aux derniers scrutins, avaient atteint le seuil de représentativité.

« GARDER LES TROUPES EN PLACE »

Le départ du « camarade » Modeste Bahati dont le parti a été longtemps allié au PPRD constitue une illustration éloquente de la difficile mission de garder les troupes en place.

Élections passées, l’heure est désormais à l’expression des ambitions. Peu importe qu’il provienne d’un parti réel ou de la « mosaïque PPRD », chacun veut avoir voix au chapitre à tous les niveaux, que ce soit au gouvernement, à la tête des entreprises du portefeuille de l’État et des représentations diplomatiques du pays.

« Ce n’est pas facile de gérer les égos et les frustrations. Le départ du « camarade » Modeste Bahati dont le parti a été longtemps allié au PPRD constitue une illustration éloquente de la difficile mission de garder les troupes en place », confie un cadre du parti de Joseph Kabila. Peu avant la formation de l’équipe gouvernementale, le leader de l’Alliance des forces démocratiques du Congo et Alliés (AFDC-A) s’est en effet séparé non sans fracas avec la famille politique du désormais ex-président de la République.

C’est notamment pour éviter à l’avenir cette déconvenue que le FCC « réfléchit » dorénavant à se muer en « grand parti politique », selon un haut responsable de cette plateforme électorale, consulté début décembre à Kinshasa par le Groupe d’étude sur le Congo (GEC).

« Joseph Kabila s’est surtout rendu compte des limites de cette myriade des partis qu’il avait mise en place à l’époque pour anéantir les effets du scrutin proportionnel », tacle Fidèle Babala, secrétaire général adjoint du Mouvement de libération du Congo (MLC), parti d’opposition. « Aujourd’hui il [Joseph Kabila] cherche à conserver coûte que coûte cette majorité parlementaire obtenue pourtant par la fraude. Pour lui, cela passerait donc par exiger aux membres de la ‘mosaïque PPRD’ de former un parti », estime-t-il. D’autres formations politiques membres du FCC, issus souvent des dissidences avec des partis d’opposition, sont également concernées.

« TOUTE LA CLASSE POLITIQUE RECONNAÎT AUJOURD’HUI L’ÉCHEC DES PARTIS MALLETTES »

En réalité, dans un contexte post-électoral, il n’y aurait plus aucun intérêt à disposer des partis ou regroupements politiques dits « mallettes » : pas facile de les gérer ou de bien coordonner les actions, même s’ils sont placés sous le joug d’une suprême plateforme. D’autant que les résultats des derniers scrutins, même s’ils ont été contestés, ont fait apparaître trois blocs : d’un côté, le FCC et le Cap pour le changement (Cach) de Félix Tshisekedi et Vital Kamerhe qui ont formé une coalition et, de l’autre, Lamuka avec notamment Martin Fayulu, Jean-Pierre Bemba et Moïse Katumbi.

Une configuration que les uns et les autres semblent vouloir désormais pérenniser, moyennant quelques ajustements, en transformant des alliances électorales en partis politiques. S’il est encore inimaginable de voir une fusion UDPS – FCC, bien que tous les deux prônant la social-démocratie, l’UDPS envisagerait déjà d’intégrer en son sein d’autres alliés (G14, François Muamba, Vidiye Tshimanga entre autres) dont le nouveau parti présidentiel estime être proche, selon plusieurs sources concordantes.

De son côté, le MLC dit qu’il est « encore en phase de reconstruction interne » après une longue détention de son leader à La Haye. Priorité au lancement « d’ici la fin du mois » de la première ligue des jeunes de l’histoire du parti. Mais la formation politique de Jean-Pierre Bemba n’exclut pas d’éventuels rapprochements avec ses partenaires électoraux dans ce sens. Idéologiquement, il partage le socio-libéralisme avec Ensemble pour la République, nouveau parti de Moïse Katumbi.

Et les deux leaders se sont côtoyés dans le cadre de la coalition Lamuka qui a soutenu la candidature de Martin Fayulu, un autre socio-libéral, lors de la présidentielle du 30 décembre. Le premier conserve un fort ancrage dans la partie ouest du pays, le second dans le sud-est. Un atout non négligeable dans la perspective de prochaines échéances électorales.

Pour le préserver, s’il est désigné « porte-parole de l’opposition », Moïse Katumbi est même disposé à n’occuper cette fonction que deux ans afin de passer ensuite la main à Jean-Pierre Bemba. « C’est un arrangement interne », se contente de confirmer au GEC une source proche du dernier gouverneur du Katanga. En novembre, le député Christophe Lutundula, proche de Moïse Katumbi, nous faisait déjà part ici de ces possibles « aménagements » à mettre en place pour que chaque leader de Lamuka joue un rôle au sein de l’opposition politique.

MOISE KATUMBI AUSSI RÉORGANISE SON CAMP

En décembre 2019, Moïse Katumbi, lors des « assises de Lofoï », entérinera la transformation de la plateforme regroupant plusieurs dénominations politiques « Ensemble pour le changement » en un seul parti : « ensemble pour la République ».

Depuis le 18 décembre, six des partis et regroupements politiques qui forment Ensemble pour le changement, sa plateforme électorale, se sont fusionnés pour ne faire qu’un seul « grand parti » : Ensemble pour la République. « Toute la classe politique reconnaît aujourd’hui l’échec des partis mallettes, constituées souvent du père, de la mère et des enfants, représentés dans un seul coin de la ville ou dans une seule province. Cela a conduit au vagabondage politique et au chantage en vue d’obtenir des postes lorsque ces partis parviennent à remporter un ou deux sièges à l’issue des élections », explique Salomon Kalonda Idi Della, son bras droit et conseiller politique.

À l’en croire, le nouveau parti de Moïse Katumbi s’inscrit ainsi dans l’esprit de cette nouvelle architecture de la politique congolaise qui se dessine. Principale force de l’opposition, Ensemble pour la République projette de mettre en place un « gouvernement parallèle » avec des secrétaires nationaux du parti à chaque niveau, lesquels « vont suivre pas à pas chaque ministre dans son domaine de compétences non seulement pour le contrecarrer mais aussi pour proposer des pistes de solutions ». Pierre Lumbi, secrétaire général de cette formation politique, sera ainsi « d’ici un mois » secondé par « six secrétaires généraux adjoints ». Ils seront comme des « vice-Premiers ministres » avec des secteurs d’intervention bien définis.

QUID DE LA LOI ÉLECTORALE ?

Mais cette tendance aux « grands partis » paraît à contre-courant de l’état actuel de la législation électorale. Si l’introduction du seuil de représentativité en 2017 a encouragé le regroupement des petits partis en « grandes composantes », elle n’est cependant pas parvenue à consacrer l’émergence de seuls « grands partis ». Au contraire. Plus une famille politique mettait en place des « regroupements politiques », plus elle disposait des listes pouvant atteindre le seuil et participer à l’attribution des sièges.

Sans une nouvelle réforme électorale tendant à relever ce seuil, il ne sera pas possible de consacrer l’avènement des « grands ensembles ». Deux options se présentent alors au législateur : revenir au proportionnel pur avec son corollaire des partis-tiroirs, clients et alimentaires mais qui garantit une certaine représentation de toutes les tendances à travers le pays ou trancher en faveur d’un mode de scrutin qui favorise les « grands partis ».

Diplomatie

Digitalcongo titre « F. Tshisekedi et J. Lourenço conviennent sur la réouverture des frontières entre le Rwanda et l’Ouganda »

« L’intensification des efforts fournis lors des quadripartites ont permis de remédier aux différends entre le Rwanda et l’Ouganda. Les quatre chefs d’Etats de la sous-région, F. Tshisekedi, Lourenço, Museveni et Kagame ont réalisé des progrès notables visant à négocier une solution pacifique au conflit entre les deux pays voisins de l’Est.

Les retombées profitables du quatrième sommet quadripartite, vendredi 22 février 2020 (sic) , au poste frontalier de Gatuna déjà au rendez-vous, les quatre présidents de la sous-région, Félix Tshisekedi, Joao Lourenço, Yoweri Museveni et Paul Kagame, ont noté des progrès accomplis en matière de l’élimination des tensions entre le Rwanda et l’Ouganda.

Les frontières communes entre les deux voisins de l’Est sont au menu de la cinquième quadripartie qui pourrait être convoquée en vue d’un aboutissement en douceur des efforts déployés et de faciliter les échanges économiques.

Sous la médiation directe de Félix Tshisekedi et de Joao Lourenço, les présidents Museveni et Kagame devront désormais faire profiter à leurs concitoyens, de même qu’aux Congolais, des bénéfices économiques que le sommet quadripartite apportera dorénavant à l’ensemble de la sous-région et même de la région.

C’est une énorme opportunité pour Gatuna, la cité frontalière et haut lieu de forte concentration humaine pour cette expérience incroyable et une opportunité à faire rayonner les Grands-lacs africaines.

Les chefs d’Etat ont noté en outre que, depuis leur dernière rencontre, des progrès ont été accomplis en ce qui concerne l’engagement de deux parties à faire tout leur possible pour éliminer les facteurs de tension.

A cet égard, ils ont salué la libération de chaque côté, ainsi que la garantie de poursuivre ce processus dans le respect de l’Etat de droit et du droit humanitaire international. Leurs homologues de l’Angola et de la République démocratique du Congo se sont félicités de la signature du traité d’extradition entre le Rwanda et l’Ouganda, réalisée dans le cadre du sommet quadripartite.

L’on signale que pour cette quadripartite, les facilitateurs ont convenu dans un délai de quinze jours qui suit le sommet de Gatuna de la tenue d’un sommet à convoquer afin de procéder à la signature solennelle de la réouverture des frontières et la conséquente normalisation des relations entre les deux pays, l’Ouganda et le Rwanda ».

Presse et documents étrangers

Quels soupçons pèsent sur l’ancien patron de l’ANR, Kalev Mutondo?,

RFI – le 13 février 2020 

Plus d’une trentaine d’anciens opposants et activistes des droits de l’homme, constitués en comités, ont saisi l’Acaj (Association congolaise pour l’accès à la justice). Jean-Claude Muyambo, Jean-Bertrand Ewanga, Gecoco Mulumba et les autres estiment que leurs droits ont été violés par l’ANR du temps de Kalev Mutondo.

« Arrestations, détentions arbitraires, traitements inhumains et dégradants ». Par ces mots, Jean-Claude Muyambo a, d’entrée de jeu, défini les raisons de la démarche du collectif.

La plainte s’ajoutera à celle introduite en 2016 contre Kalev Mutondo. Les deux groupes se rejoignent sur les mêmes motifs, a déclaré le président du parti SCODE. Et le bâtonnier Muyambo de rappeler à l’intention du public : « Vous avez vu comment on a déshabillé Ewanga en public ? comment Gecoco pissait même le sang ? Vous avez vu comment on a écrasé mon pied ? » Le collectif insiste sur les tortures dont ils affirment avoir été l’objet dans les cachots des services de renseignements. Jean-Bertrand Ewanga, lui, a illustré l’arbitraire de sa propre incarcération après avoir été arrêté violemment par les services de l’ANR. « Le bureau de l’Assemblée de l’époque a considéré que j’étais innocent. Jusqu’à passé douze mois… Le préjudice causé…»

Selon Me David Tshimanga, avocat de Gecoco Mulumba, Kalev Mutondo a une responsabilité pénale et civile. « M. Kalev est un préposé de l’État congolais qui sera tenu pénalement responsable des faits infractionnels. »

Ils affirment avoir des preuves et ne pas avoir de haine. L’objectif de la démarche est d’en finir avec ce genre d’actes.

Belgique : Un nouveau lot de diamants congolais vendus pour 7,8 millions de dollars

Patrick Ndungidi – Adiac-Congo (d’en face) – le 17.02.2020,

Les diamants, qui provenaient de la société congolaise Sacim, ont été mis en vente du 6 au 12 février sur le site du Diamond Tender Facility d’Anvers, situé dans le bâtiment de l’Antwerp World Diamond Centre (AWDC). La vente s’est déroulée en présence de Nyembo Muyumba, directeur général du Centre d’expertise d’evaluation et de certification (CEEC) du ministère des Mines de la RDC.

Le lot de diamants mis aux enchères était composé de 15% de diamants de qualité « gemme »- diamants adaptés aux bijoux – et de 85% de diamants industriels. La mine Sacim est située sur le territoire de Miabi, dans la province du Kasaï oriental. Il s’agissait de la deuxième vente aux enchères de diamants congolais en peu de temps à Anvers. En novembre 2019, une vente aux enchères similaire, dans laquelle 350 000 carats ont été échangés, a rapporté 5,92 millions de dollars.

Comme pour la première vente, indique-t-on, la seconde vente a dépassé les attentes: l’organisateur de la vente, la société Samir Gems, a vendu quelque 535 000 carats de diamants bruts pour 7,84 millions de dollars.

Selon Anjal Bhansali de Samir Gems, plus de deux cent cinquante sociétés ont visité le site de vente en seulement cinq jours, cinquante sociétés ayant soumis des offres et dix-neuf sociétés différentes remportant des lots. « C’est l’une des choses qui montre qu’Anvers est toujours le meilleur marché. Il y a tellement d’acheteurs actifs à Anvers, les mineurs – en l’occurrence la Sacim – peuvent être assurés de maximiser leur retour », a-t-il fait savoir.

Les bénéfices de la première vente de novembre étaient légèrement plus élevés que ceux de la deuxième vente . En effet, explique-t-on, en novembre la vente a rapporté près de six millions de dollars pour 350 000 carats de diamants de qualité mixte à un prix moyen de près de seize dollars le carat.

Cette fois, la vente a généré 7,84 millions de dollars pour environ 535 000 carats à un prix moyen de 14,72 dollars par carat, ce qui est légèrement supérieur à la valeur estimée des marchandises telle que déterminée par les experts diamantaires du Centre d’expertise d’évaluation et de certification du ministère des Mines de la RDC.

Anjal Bhansali a déclaré que, bien que les produits commerciaux aient enregistré de bonnes performances, le prix des pierres précieuses a chuté en raison d’une production de qualité légèrement inférieure, ainsi que d’un sentiment général de prudence chez les acheteurs.

« L’engouement de la hausse des ventes de brut en janvier a été quelque peu atténuée en raison du virus et des gens qui s’inquiètent du marché. La crise s’intensifie sur les principaux marchés du diamant, et il ne faut pas oublier que les diamants sont un produit de luxe. Les diamantaires n’achètent généralement pas de produits de luxe en temps de crise ». Samir Gems a déclaré que les résultats positifs de ces deux ventes ont ouvert la voie pour de nouvelles ventes de diamants bruts de la RDC.

Fruit de l’accord de coopération

La visite du président congolais Félix-Antoine Tshisekedi à Anvers le 15 septembre 2019, explique-t-on, a revitalisé les relations commerciales entre l’industrie diamantaire anversoise et la RDC. Au cours de cette visite, la RDC et les diamantaires d’Anvers avaient signé un accord de coopération. Le « memorandum of understanding », signé entre les deux parties, est axé sur l’échange d’informations et l’innovation technologique. Le programme déjà existant consiste à former à Anvers des fonctionnaires congolais en matière d’estimation de valeurs et de processus administratif.

Le protocole d’entente ne se limite pas uniquement à la filière diamant, mais prévoit également son extension à d’autres filières minières non négligeables, à savoir l’or, la cassitérite, le cuivre et le cobalt. L’accord de coopération signé entre la RDC et les diamantaires d’Anvers a ainsi conduit à un premier appel d’offres en novembre de plus de 350 000 carats. Les prix atteints lors de cette première vente ont dépassé les attentes des organisateurs et de l’entreprise minière.

Priorité à Anvers

Parallèlement à l’appel d’offres d’Anvers, un lot de diamants similaires, en provenance de la RDC, avait été mis en vente à Dubaï, avec un prix moyen inférieur de 8% à celui réalisé à Anvers malgré la présence de brut de meilleure qualité. Cela a conduit le président Tshisekedi à charger le CEEC de donner la priorité à Anvers en tant que principal canal de vente des diamants congolais.

Anvers est le centre de négoce de diamants le plus compétitif et strictement contrôlé au monde, avec 86% des diamants bruts du monde vendus chaque année dans la ville. Samir Gems organise les ventes aux enchères au sein l’AWDC. «Les diamants sont une source de revenus importante pour la RDC. Gagner un fort retour sur appel d’offres est donc extrêmement important pour le gouvernement congolais ainsi que pour la population. Nous sommes donc heureux qu’ils aient opté pour le modèle commercial transparent et le marché concurrentiel d’Anvers. De cette façon, nous apportons une valeur ajoutée à la RDC», a expliqué Ari Epstein, PDG d’AWDC.

Mi-mars, une délégation d’Antwerp World Diamond Centre se rend en RDC dans le cadre du suivi de l’accord de coopération signé en novembre 2019. A cet effet, lors de la signature de l’accord de coopération le président congolais Félix Tshisekedi avait tenu à souligner que la commission mixte, qui sera mise en place en vue de définir les conditions et les modalités d’application de ce protocole d’accord, veillera à ce que la coopération entre la RDC et la Belgique aboutisse à l’éclosion d’une classe moyenne d’opérateurs congolais ; la promotion d’une industrie diamantaire respectueuse des normes internationales d’approvisionnement responsable; la canalisation des flux des diamants vers la bourse des matières précieuses à créer en RDC avec l’assistance de l’AWDC et le marché mondial ; le renforcement des capacités des Congolais par la création d’une école de gemmologie en RDC.

Ces dernières années, Anvers a importé de moins en moins de diamants bruts directement de la RDC, en baisse de 35% en valeur et de 24% en volume rien qu’en 2018, cette tendance se poursuivant en 2019. Les prix que la RDC a reçus pour ses exportations de diamants – toujours faible – a également chuté de plus de 50% au cours des quinze dernières années, se situant actuellement à un peu plus de 8 $ le carat.

La RDC est le quatrième producteur mondial de diamants bruts en volume et le 10e en valeur. Selon les statistiques officielles du Processus de Kimberley, la RDC a produit en 2018 16,4 millions de carats évalués à plus de 136 millions de dollars, mais le prix moyen par carat que le pays a tiré de ses diamants, 8,31 $, était le plus bas du monde. La production de diamants de la RDC en 2018 représentait 11% de la production mondiale mais moins de 1% de sa valeur. La Belgique a importé 6,72 millions de carats d’une valeur de 59,1 millions de dollars de la RDC en 2018. Le montant importé représentait 7,25% du volume total des importations belges de diamants bruts.

La RDC réduit son budget de 50%, coup dur pour les grands projets sociaux du président

AFP – le 17 février 2020

Moins 50%: la République démocratique du Congo (RDC) doit revoir son budget 2020 à la baisse de près de moitié, a annoncé lundi le ministère des Finances, un coup dur pour les grands projets anti-pauvreté du président Félix Tshisekedi.

« La loi de finances 2020 » prévoyait un budget de 10,59 milliards de dollars (au taux actuel du franc congolais) pour quelque 80 millions d’habitants, dont les 2/3 vivent avec moins de deux dollars par jour, sans la moindre protection sociale.

Cependant, le « plan de trésorerie », qui tient compte de l’exécution du budget, ne prévoit plus que 5,45 milliards de dollars de dépenses, selon un communiqué du ministère des Finances, et des recettes un peu moindres.

Ce « plan de trésorerie » prend en compte « des tendances défavorables de la conjoncture actuelle », note le ministère. Et notamment « les effets décalés résultant de l’effondrement au dernier trimestre 2018 du cours du cobalt », un minerai dont la RDC est le premier producteur mondial.

Le budget initial de 11 milliards manquait de « réalisme », avait prévenu le Fonds monétaire international (FMI), qui a accordé en décembre à la RDC une ligne de crédit d’urgence de 368,4 millions de dollars pour « ses besoins urgents en matière de balance des paiements ».

Ce budget devait financer le chantier titanesque de la gratuité de l’enseignement primaire dans les écoles publiques lancé en septembre 2019. Son coût a été estimé à 2,6 milliards de dollars.

Vendredi, le président Tshisekedi a aussi lancé un « plan national stratégique » pour « la couverture santé universelle », en présence du patron de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS).

« Les citoyens de la RDC sont confrontés à de nombreux problèmes sanitaires: paludisme, rougeole – avec l’un des plus terribles épisodes depuis 50 ans -, malnutrition et maladie à virus Ebola », a rappelé le directeur général de l’OMS Tedros Adhanom Ghebreyesus.

« Nous sommes en train de chercher les financements », a assuré le ministre de la Santé Eteni Longondo, envisageant une couverture totale « peut-être après cinq, dix, quinze ans ».

La RDC est producteur de métaux très convoités (cobalt, cuivre, or, coltan). Sa population est pourtant l’une des plus pauvres du monde, dans ce pays où le président a fait de la lutte contre la corruption un de ses objectifs.

L’ACTION AVANT LA REFLEXION! Pour suivre l’idéologie mobutisme avec laquelle on a vécu prés de quatre décennies! RDC: un plan de trésorerie pour éviter le dérapage des dépenses publiques

Pascal Mulegwa, correspondant à Kinshasa de RFI – le 18/02/2020 –

Le Fonds monétaire international (FMI) avait demandé à la République démocratique du Congo (RDC) de faire preuve de plus de réalisme dans ses dépenses. Sur demande de l’institution, le gouvernement congolais vient de publier un plan de trésorerie, un instrument qui devrait lui permettre de rationaliser ses dépenses, après des dérapages en 2019. Loin du budget historiquement haut de onze milliards de dollars, promulgué, il y a deux mois par le président Tshisekedi, ce plan de trésorerie prévoit deux fois moins de recettes ; et, à ce jour, deux fois moins de dépenses. Les ambitions sont–elles revues à la baisse ?

La RDC prévoit de dépenser 5,64 milliards de dollars et le gouvernement pense pouvoir réellement mobiliser 5,4 milliards de recettes. L’écart de quelque 200 millions devrait être comblé par des bons du trésor émis par la Banque centrale. Dépenser uniquement sur base de recettes ou financements engrangés au Trésor, c’est l’un des engagements pris auprès du FMI.

Deux milliards de dollars de financement extérieur

Pour combler son budget de 11 milliards, Kinshasa dit espérer pour 2 milliards de dollars de financement extérieur. Cela amènera au mieux le pays à un budget de 8,2 milliards de dollars. A ce jour, les institutions ne pourront donc pas assurer 30% des dépenses prévues au budget 2020, ce qui va demander des arbitrages.

Le gouvernement congolais explique ce soudain revirement dans ses projections par une évolution des « circonstances » qui ont « prévalu à l’adoption du budget » peut-on lire dans un document émis par le ministère des Finances.

Évolution des prévisions

Les prévisions pourraient encore évoluer si les recettes explosent dans les régies financières. Pour l’Observatoire de la dépense publique, une ONG congolaise, ce document, publié sur le site du ministère des Finances, devrait ouvrir la voie à une révision de la loi des finances. Cette organisation estime toutefois que les prévisions du gouvernement sont peut-être encore trop optimistes, notamment sur l’appui extérieur.

Il faut dire que cette aide devrait être conditionnée au respect de plusieurs réformes et d’une orthodoxie de gestion, qui sera régulièrement contrôlée par le FMI.

L’aide au développement fournie par la Banque Mondiale nourrit la corruption des pays pauvres

RTBF – 19 février 2020

La Banque Mondiale est dans la tourmente. L’institution financière chargée de l’aide au développement des pays les plus pauvres a tenté de censurer une publication interne aux conclusions tonitruantes. Un scandale baptisé #papergate, le « scandale de la publication ».

« Détournement de l’aide étrangère par les élites. Preuve de comptes bancaires offshore », la publication remet en cause l’efficacité de l’action de la Banque Mondiale. Les versements d’aide au développement de l’institution financière internationale nourrissent en partie la corruption des pays pauvres. Au bénéfice de places financières occidentales – et au profit donc, des pays plus riches.

La Banque Mondiale a tenté de censurer l’étude

L’étude « Elite Capture of Foreign Aid » en question a passé avec succès une évaluation interne de validité il y a déjà trois mois, mais sa diffusion a, mercredi. Et la démission la semaine dernière de la chef économiste de l’institution, Penny Goldberg, s’explique selon The Economist (et selon toute vraisemblance) par la censure de cette publication controversée.

7,5% de l’aide, dans des paradis fiscaux

Les résultats de l’étude – commandée par la Banque Mondiale elle-même ? En moyenne, 7,5% des versements de l’institution aux pays en voie de développement, sont détournés vers des paradis fiscaux comme la Suisse, le Luxembourg, et Singapour. Une part qui grimpe à 15% pour les 7 pays les plus aidés – quand l’aide de la Banque Mondiale représente au moins 3% du produit intérieur brut (Ouganda, Eythréen Sierra Leone, Mozambique…).

Concrètement, les trois chercheurs démontrent que « des aides au développement versées à des pays pauvres coïncident systématiquement avec une forte augmentation des dépôts bancaires depuis les pays concernés vers des paradis fiscaux ». Et, pire, plus un pays est dépendant de l’aide au développement de la Banque Mondiale, plus les versements effectués vers des centres financiers offshore sont importants.

Or, l’évasion fiscale des seules multinationales hors des pays en voie de développement est déjà un problème majeur pour les pays en voie en de développement – estimée à 200 milliards de dollars par an, par le Fonds monétaire International. Ce qui est déjà en soi supérieur aux 143 milliards de l’aide au développement. Les conséquences de cette évasion fiscale sont déjà en tant que telles colossales pour la pauvreté dans ces pays.

L’argent public destiné à l’aide au développement nourrit la corruption

Dans le cas du #papergate, le contribuable occidental, européen, belge sait désormais que l’argent public destiné à l’aide au développement nourrit en partie la corruption dans les pays les plus pauvres de la planète. Au bénéfice de places financières occidentales. Au profit donc, des pays plus riches.

Selon Arnaud Zacharie, secrétaire général du CNCD 11.11.11 : « C’est ça qui est tout particulièrement choquant et qui démontre en réalité que des institutions comme la Banque Mondiale n’a pas pris toutes les dispositions pour assurer le monitoring, pour assurer la traçabilité de l’aide qu’elle octroie aux pays les plus pauvres ».

Tensions internes à la Banque Mondiale

Ce n’est pas le premier signe des tensions au sein de la Banque Mondiale, pour Arnaud Zacharie : « il y a un grand écart, de plus en plus important, entre le service d’étude de la Banque Mondiale d’une part, qui commande souvent les études à des académiques, et d’autre part le conseil d’administration et la présidence qui met en œuvre les politiques. Il faut savoir que ce n’est pas le premier épisode en la matière, puisque l’économiste en chef précédent (Paul Romer, Nobel d’économie) a lui-même démissionné après 15 mois, après avoir dénoncé des falsifications de données concernant le Chili ».

Le débat sur l’efficacité de l’aide au développement n’est pas neuf. Dans quelle mesure cette aide stimule réellement la croissance, améliore les résultats du développement humain et réduit la pauvreté ? Les auteurs de l’étude soulignent la « préoccupation souvent exprimée par les sceptiques est que cette aide puisse être capturée par les élites économiques et politiques des pays pauvres ». Mais que « jusqu’ici, il existait peu de preuves systématiques du détournement de l’aide ».

Jusqu’ici. Et pour l’institution, la défaite est double : son efficacité à réduire la pauvreté est profondément remise en cause, et elle n’est manifestement pas prête à l’admettre. De quelle crédibilité les hauts dirigeants de la Banque Mondiale peuvent-ils encore se targuer aujourd’hui ? La débâcle est monumentale.

Rwanda: la crainte des survivants n’est pas dissipée

Colette Braeckman – Le Soir – le 19 février 2020

Kigali, envoyée spéciale – Poussés par l’offensive de l’armée congolaise, les Hutus réfugiés en République démocratique du Congo reviennent au Rwanda, par centaines. Hommes, femmes et enfants traversent la frontière, souvent dans un état physique déplorable. Dans un premier temps, ils sont identifiés, reçoivent des soins médicaux, et le Rwanda jaloux de ses prérogatives et instruit par les équivoques du passé, n’entend pas laisser au HCR le soin de prendre en charge ceux qui reviennent au pays après un quart de siècle d’exil.

Ce retour, officiellement, se passe bien : chacun est invité à regagner sa colline d’origine, à retrouver les membres de sa famille souvent rentrés depuis longtemps et à tenter de reprendre ses activités. Mais il apparaît, de source officieuse, que les litiges sont fréquents : non seulement les nouveaux venus ignorent les us et coutumes du nouveau Rwanda, mondialisé, anglicisé, modernisé, mais surtout, ils souhaitent retrouver les propriétés laissées au moment de l’exode, qui se réduisent souvent à une humble parcelle, exigüe certes, mais vitale pour cette population paysanne.

Quant aux rescapés, ils redoutent cette cohabitation avec ceux qui, bien souvent, ont participé au massacre de leurs familles, pillé leurs biens et qui, malgré la « gaçaça », justice communautaire, on fait preuve de bien peu d’empathie envers les survivants. « Qui peut lire dans les cœurs de ses voisins, dans le secret des conversations familiales ? « nous confie G, un sociologue ?

L’angoisse que suscite le retour des réfugiés au Congo est aggravée par d’autres perspectives : cette année, ayant purgé leur peine, plus de 40.000 prisonniers détenus pour avoir participé au génocide, seront remis en liberté. Redevenus des citoyens ordinaires, ils rejoindront leur colline, leur parcelle, leur famille. « Ce retour là inquiète encore plus que les rapatriements depuis le Congo » poursuit G, car si ces hommes ont purgé leur peine jusqu’au bout, c’est aussi parce qu’ils ont refusé de faire acte de repentance, ils n’ont fait preuve d’aucune empathie à l’égard de leurs victimes… Quel sera leur comportement envers les rescapés qui restent traumatisés, appauvris, qui se sentent vulnérables et isolés ? »

Illuminée par les gratte ciel, traversée de routes asphaltées, balisée par des caniveaux et des rond points taillés au ciseau, des lampadaires éclairés de jour comme de nuit, rutilante de centres commerciaux ou administratifs, Kigali, devenue l’une des plus belles villes d’Afrique se prépare à accueillir dignement le sommet du Commonwealth qui aura lieu en mai prochain. Une fois de plus les autorités rwandaises seront congratulées par leurs pairs, pour l’excellente organisation de la rencontre, pour la propreté de la ville, la sévérité des mesures d’hygiène et de prévention, qu’il s’agisse d’Ebola ou du coronavirus, l’excellence des hôpitaux qui traitent désormais les cancers, les diabètes, des pathologies jusqu’à présent négligées mais qui sont un effet de la sédentarisation des citadins.

Mais dans les coulisses d’autres craintes s’expriment, dans une discrétion obligée. Malgré la reconnaissance internationale dont il bénéficie, malgré les bonnes relations désormais nouées avec le pouvoir de Kinshasa qui lui permettent de mener en territoire congolais des opérations militaires bien peu secrètes, le Rwanda se sent à nouveau isolé, voire menacé : les relations avec l’Ouganda sont exécrables, à tel point que l’ancien allié, le président ougandais Museveni soutient désormais Bujumbura, et le Rwanda y décèle l’éternelle main de la France !

En outre, un ancien diplomate passé par les Nations unies nous assure à Kigali que les massacres de Beni, qui font chaque semaine des dizaines de morts en contrepoint à l’offensive des forces congolaises, seraient instigués par l’Ouganda mais mis sur le compte du Rwanda afin de justifier les soupçons congolais, récurrents sinon obsessionnels, de balkanisation de la RDC.

Les craintes de notre ami sociologue dépassent le plan diplomatique : « le temps », dit-il, « n’a pas nécessairement joué en notre faveur. Dans de nombreux pays d’Europe, mais aussi d’Afrique s’est établie, depuis 1994, une nouvelle diaspora. Elle est organisée, relativement prospère, composée d’agriculteurs qui, en Zambie, en Tanzanie, au Mozambique, ont trouvé des terres à cultiver, des camions et des taxis à conduire, des écoles où envoyer leurs enfants, des commerces à faire prospérer. Ces communautés n’ont guère répondu aux efforts de Kigali qui a multiplié les opérations « come and see » « venez et voyez » destinées à convaincre les exilés de revenir dans une patrie reconstruite. Au Mozambique, deux leaders de la communauté rwandaise qui avaient accepté de faire le voyage ont été assassinés à leur retour ! »

Même s’ils n’expriment leurs craintes qu’à voix basse, les rescapés se demandent si les exilés de 1994, rêvant toujours de revanche, ne seraient pas en contact avec d’éventuelles « cellules dormantes » créées dans le pays…

Ce qui explique un autre des impressions que laisse le Rwanda un quart de siècle après le génocide : un pays où la sécurité demeure une compréhensible obsession, où chaque hôtel ou restaurant, chaque bâtiment administratif est doté d’un portail électronique où les visiteurs sont dûment scannés. Cette impression de surveillance se double certes d’un sentiment de sécurité car la criminalité est faible et nul ne craint de sortit la nuit. Mais en même temps chacun sait que dans ce pays où la population dépasse les 12 millions d’habitants et où chaque année 250.000 jeunes se pressent sur le marché du travail, rien n’est jamais définitivement acquis…

Rwanda: vie et mort de Kizito Mihigo

Colette Braeckman – Le Soir – le 19 février 2020

Suicide ou assassinat ? La mort en prison du chanteur Kizito Mihigo émeut le Rwanda mais touche aussi les Congolais

Très connu au Rwanda, le chanteur de gospel Kizito Mihigo, 38 ans, comptait aussi de nombreux admirateurs au Congo. « L’écho de son cri pour la justice et la paix résonne jusqu’ici » a déclaré le mouvement citoyen Lucha tandis que la polémique entourant les circonstances de sa mort agite l’opinion rwandaise dans le pays et dans la diaspora. C’est le lundi 17 février à l’aube que le corps sans vie du chanteur a été retrouvé dans sa cellule du commissariat de Remera un quartier de Kigali. Selon le quotidien pro gouvernental « The New Times », il se serait suicidé à l’aide de ses draps et «montrait des signes de dépression ». Une version officielle qui suscite beaucoup de scepticisme…

Quatre jours avant sa mort, Kizito Mihigo avait été arrêté dans la localité de Nyaraguru, alors qu’il se préparait à traverser la frontière du Burundi. En septembre 2018, le chanteur, qui purgeait une peine de dix ans de prison, avait bénéficié d’une mesure de grâce présidentielle en même temps que 2.138 détenus parmi lesquels l’opposante Victoire Ingabire. Mais il demeurait obligé de se présenter chaque mois au parquet et il lui était interdit de quitter le territoire national sans autorisation, ce qui explique son arrestation par le Bureau rwandais d’investigation et son transfert à Kigali.

Accusé d’entretenir des liens avec le général Kayumba Nyamwasa, l’un des fondateurs du Front Patriotique rwandais devenu le pire adversaire du président Kagame et collaborant aujourd’hui avec les mouvements armés hutus en exil, Kizito Mihigo était devenu l’une des « bêtes noires » du régime.

Il n’en avait pas toujours été ainsi : lorsque voici deux décennies, un jeune homme mince, aux grands yeux tristes, se présenta à la rédaction du Soir, c’est parce qu’il tenait à expliquer qu’il était un rescapé du génocide, que sa passion était la musique et que le président Kagame, auquel il vouait un respect presque filial, avait accepté, sur sa cassette personnelle, de prendre en charge ses études à l’étranger. Après le Conservatoire de Bruxelles, Kizito Mihigo réalisa son rêve et poursuivit ses études musicales au Conservatoire national de musique et de danse de Paris. Durant son séjour en Europe, il noua vraisemblablement des contacts avec la diaspora rwandaise parmi laquelle des mouvements d’opposition très actifs en France et en Belgique. Ce jeune Tutsi au cœur généreux fut sensibilisé au sort des Hutus en exil et convaincu de la nécessité de mener plus avant la réconciliation. A son retour au pays, devenu un chanteur compositeur talentueux et apprécié, Kizito Mihigo participa à la composition du nouvel hymne national. Mais il créa aussi, en 2001, une Fondation pour la promotion de la paix et de la réconciliation au Rwanda. Evoquant, dans ses chansons, la douleur des survivants du génocide, il n’hésitait pas à dénoncer, dans le même souffle, les représailles contre les Hutus et en 2014, la chanson « Igisobanuro cy !urupfu » ( la signification de la mort) entraîna sa disgrâce. Aux yeux du régime, le jeune prodige choyé par Kagame était allé trop loin, flirtant avec des thèses jugées révisionnistes. La descente aux enfers commença par l’accusation de conspiration contre le régime, qui entraîna une peine de dix ans de prison, finalement levée en 2018.

La fin tragique de Kizito Mihigo frappe l’opinion car il n’est pas le premier à disparaître dans des circonstances mystérieuses mais aussi parce que le climat sécuritaire est particulièrement tendu : au Burundi, les forces du RNC (Congrès national rwandais) du général Kayumba ont fait leur jonction avec des éléments des FDLR composé de réfugiés hutus et ces opposants armés bénéficient du soutien actif de l’Ouganda. A propos de la mort de Kizito, si la thèse la moins plausible est celle du suicide, les autres hypothèses demeurent ouvertes : le chanteur pourrait, comme d’autres avant lui, avoir été « liquidé » par le régime, mais ses « nouveaux amis » pourraient tout aussi bien avoir décidé de supprimer un homme talentueux et idéaliste mais qui en savait trop…

Avec le festival Amani, Goma choisit la vie

Colette Braeckman – Le Soir – le 19 février 2020

Goma,envoyée spéciale

Enthousiastes comme jamais, levant leurs doigts en V, éclairant de leurs portables la nuit de Goma et l’enceinte du collège Mwanga, les jeunes du Nord Kivu ont une fois de plus fait la fête au festival Amani « mes trois jours de vrai bonheur sur l’année », nous chuchotait un jeune garçon. Chaque après midi, plus de 12.000 personnes ont applaudi les chanteurs, les slameurs, les rockeurs, les danseurs traditionnels descendus des collines du Masisi.

Cependant, tout au long du festival, une ombre a plané sur la fête : de jour en jour, les organisateurs se sont demandé si, pour des raisons d’ordre public, il ne serait pas plus avisé de tout annuler. Chaque midi en effet, des jeunes descendus des quartiers populaires de Goma,où se pressent des déplacés venus du grand Nord (la région de Beni) ont menacé de chahuter, de protester contre cette fête de la musique alors que chez eux la mort est quotidienne. Mais, laissant poindre d’autres motivations, nombre de manifestants réclamaient aussi que le festival se déplace à Beni, en dépit des risques multiples et ils lançaient des pierres sur les festivaliers qui faisaient la queue…Ces derniers, impassibles, acceptaient de bonne grâce les fouilles corporelles, les prises de température et les lavages de mains, des mesures prises à cause de l’épidémie d’Ebola qui sévit toujours dans la région, même si elle épargne désormais la capitale du Nord Kivu.

Cependant, malgré les risques sanitaires, sécuritaires, les inévitables jalousies et les arrière pensées, le miracle a eu lieu, une fois de plus, reposant sur la bonne volonté de centaines de bénévoles et sur des artistes qui sont allés bien au-delà de leur prestation programmée. C’est ainsi que l’on découvrit que Mbilia Bel, qui chante depuis 38 ans aux côtés des plus grands musiciens congolais, comme Tabu Ley Rochereau et le groupe Afrisa international, n’est pas seulement une « bête de scène » qui se trémousse, se dandine, offre son généreux postérieur à une foule ébahie et n’a rien perdu de sa voix sensuelle et forte. Elle est aussi une femme de cœur : à quelques heures de sa prestation, « la Déesse » a tenu à rendre visite aux jeunes slameurs de Goma, en pleine répétition et les a encouragés.

Voici un an, c’est en compagnie de Gaêl Faye (chanteur, écrivain, auteur de Petit pays) et avec le soutien du Belge René Georges (Esperanzah) que ces jeunes avaient créé le Goma Slam Session. Aujourd’hui, ils ont livré au festival des textes très aboutis, très politiques, évoquant eux aussi Beni, les morts, la guerre, les combats quotidiens et concluant en chœur, accompagnés par Kris Dane à la guitare «les héros c’est toi, c’est moi c’est nous ».

Alors que les années précédentes, Amani accueillait surtout des groupes venus des pays voisins (tambourinaires du Burundi, danseurs du Rwanda,..) cette année l’apport régional s’est fait plus mince, à cause peut être de la crise politique au Burundi et les contrôles renforcés aux frontières. Mais en revanche, Amani s’est ouvert sur le monde et le monde a répondu à l’appel. C’est ainsi qu’ « Euforquestra » (euphorie et orchestre) un curieux groupe venu de l’Iowa a mis le feu à la grande scène . Dans la plus grande tradition du country et du folk américain, six gaillards, décontractés, infatigables, se sont déchaînés avec leur saxo, leur batterie, leur guitare, leur trompette basse, entonnant aussi, en hommage à Goma, une chanson en swahili qui fut reprise en chœur par une foule trépignant de joie.

Si Amani s’est davantage recentré sur des talents africains comme le rappeur sénégalais Didier Awadi et surtout des vedettes congolaises le public n’a pas perdu au change : Goma s’est révélée une pépinière de talents qui, après avoir fait leur écolage derrière les murs du collège Mwanga ont conquis le pays et plus encore. C’est ainsi que Innoss B, un enfant du pays, lauréat du prix Vodacom en 2010, est aujourd’hui une super star à Kinshasa et il a commencé à enregistrer aux Etats-Unis. Baskets de vynil bleu, cheveux rouges, pantalon immaculé, jeu de jambes parfait, son look décoiffe et sa voix, son abattage, font le reste.

Coiffures afro, poing levé parfois,sourires lumineux, les jeunes du Nord Kivu ont eu raison d’entonner, en même temps que leurs rappeurs préférés, un leitmotif qui pourrait résumer ce festival chaque fois improbable, chaque fois réussi : Goma choisit la vie.

Comment Beni s’est invité au festival Amani

Colette Braeckman – Le Soir – le 19 février 2020

Goma, envoyée spéciale,

Où est le temps où le festival Amani, d’abord postposé pour cause de combats dans la ville de Goma , avait finalement lieu, pratiquement par défi, alors que sur les collines résonnait encore l’artillerie ? Sept années après sa première édition, le festival qui, durant trois jours fait chanter et danser pour la paix toute la jeunesse de Goma et des pays voisins, est désormais rodé, balisé : plus de 600 volontaires recrutés par le centre des jeunes de Goma ou venus de Belgique font tourner, sur trois scènes, une énorme machine tandis que le « village » réservé aux ONG, est devenu une petite cité dans l’enceinte du collège Mwanga justifiant le surnom de capitale mondiale de l’humanitaire jadis donné à la capitale du Nord Kivu.

Mais dès l’ouverture du festival, on sentait comme une faille, peut-être due au succès croissant de la rencontre, à l’affluence escomptée(12..000 jeunes par jours se présentent munis d’un bracelet qui leur coûte un dollar) voire à la jalousie : un journaliste, sachant parfaitement qu’une telle rencontre ne peut avoir lieu qu’en reposant sur le bénévolat, n’hésitait pas à poser la question d’un éventuel « business » ! Et le lendemain, alors que le Requiem pour la paix, adapté de l’œuvre de Mozart mettait en scène 30 choristes vêtus de noir, 8 solistes, un tambourinaire et un extraordinaire danseur, on sentait que le public n’était pas à l’unisson : au premier rang, des jeunes chahutaient, rigolaient et chahutaient, sans même mesurer à quel point ce spectacle qui émouvait profondément les Européens présents se voulait un acte symbolique en mémoire de toutes les victimes des guerres qui ont endeuillé la région.

La souffrance du présent se sont cependant bien invitées au festival ; pour cause d’Ebola, de hautes barrières bleues barraient l’accès du collège et il était impossible de les franchir sans passer le test de température ou sans se laver les mains. Et surtout, Beni, la ville du « grand Nord » où les massacres quotidiens forment le contre point de l’offensive de l’armée, a failli, dès les premières minues, faire capoter le rendez vous d’Amani.

Car Bwana Pwa, présenté comme un agitateur professionnel par la police, a bien l’étoffe d’un leader ou d’un agitateur. Visage rond, regard vif, vêtu d’un T shirt portant l’effigie de Patrice Lumumba le Premier Ministre assassiné qui reste l’éternel héros de la jeunesse, le jeune homme entend bien faire entendre son cri : « stop au génocide à Beni ». Avec sa troupe, un petit groupe de garçons portant le même T shirt blanc et, pour certains munis de lance pierres, Bwana Pwa s‘est frayé un chemin depuis les quartiers populaires de Goma jusqu’au collège Mwanga.

Intercepté par la police alors que déjà les pierres volaient, le garçon affiche des intentions pacifiques : rappeler les tueries quotidiennes à Beni, (30 personnes massacrées le week end dernier, 200.000 villageois déplacés) interpeller les festivaliers, souligner l’impuissance de l’autorité, brandir quelques calicots. Rien de bien méchant, de très agressif au premier abord. Mais la police de la ville connaît le gaillard, elle assure qu’il est recherché comme fauteur de troubles, sinon manipulé par des politiciens de la région et que dans les quartiers populaires il est capable de soulever les jeunes. Du reste, à peine avait il franchi l’enceinte du festival qu’il fut appréhendé sans ménagements et lancé dans une voiture hérissée de policiers en uniforme bleu. Au grand dam des organisateurs d’Amani, qui craignaient que cette fermeté policière ne mette le feu aux poudres et ne finisse par dresser la jeunesse de Goma contre un festival qui est précisément organisé à son intention afin de promouvoir la paix…

Mwangaza, la clinique des miracles

Colette Braeckman – Le Soir – le 19 février 2020

Kolwezi, envoyée spéciale

Kyembe Mwenze, 53 ans et son fils Kasongo Mwenze, 31 ans sont arrivés trempés, essorés par la pluie et le vent à la clinique Mwangaza, à la périphérie de Kolwezi. Depuis leur village de Kalopi, voisin de la frontière zambienne, ils ont parcouru 80 km à moto, dans des conditions difficiles, slalomant au milieu des camions. « Je dérapais dans la boue ; à travers les rideaux de pluie j’y voyais à peine, la tête me tournait » raconte Kasongo, un agriculteur dont la vue a commencé à se dégrader en 2011 et qui, comme son père, était devenu incapable de cultiver son champ. « C’est après m’être présenté à la clinique mobile que je me suis décidé à faire le voyage vers Kolwezi, car une cataracte avait été décelée et on m’a opéré avec succès. Par la suite, alors que mon père avait complètement perdu la vue, je l’ai convaincu de m’accompagner pour être opéré lui aussi… »

Même si aujourd’hui elle habite dans ce qui s’appelle le « quartier latin » de Kolwezi, -des maisons neuves entourant une église de réveil dont la musique et les chants secouent le voisinage- Marguerite vient de bien plus loin. Son père est enseignant dans le village de Lwana, au fond de la province du Lualaba. Découvrant qu’une tâche blanche grandissait sur l’œil de sa fille, il a refusé les services du médecin local désigné par le chef coutumier, préférant envoyer la petite de 4 ans à la clinique Mwangaza, une institution créée par l’ONG belge Lumière pour le monde et dont il connaissait l’existence. Aujourd’hui Marguerite et sa maman sont hébergées par des parents qui vivent au « Quartier latin » et dès la première visite à la clinique, une cataracte congénitale a été détectée, affection qui devient de plus en plus fréquente en RDC.

Médecin chef de la clinique, le Docteur Socrate, a été formé par l’ONG ainsi que par le médecin britannique David Woods, qui vient plusieurs fois par an à la clinique opérer ou superviser les cas les plus graves. Il examine Marguerite et se veut rassurant : une opération peut parfaitement lui rendre la vue. Dans le « Quartier latin », le verdict rassure et l’oncle, qui héberge la fillette et sa maman, formule le sentiment général : « Marguerite doit aller à l’école… Dans son état actuel, elle ne quitte plus les genoux de sa mère, pleure sans arrêt. Une fille, ça doit travailler. Et comme elle est là, elle ne peut rien faire, elle ne sert à rien. » Ce que l’on pourrait traduire par « une bouche inutile »…

Sans autre commentaire, le rendez vous est pris, la petite fille sera opérée le même jour que les Kasongo père et fils.

Dans la petite clinique impeccable, tenue par des religieuses et entièrement financée par l’aide internationale et les donateurs de Lumière pour le monde, rien n’est laissé au hasard : dans l’attente de l’opération les patients se préparent en compagnie de leurs proches qui leur apportent de la nourriture et achètent les médicaments. Si les Kasongo assurent qu’ils repartiront tout de suite au village, Marguerite restera en observation quelques jours encore.

Le docteur Socrate porte bien son nom. Cet homme mince, que l’on devine nerveux par nature, affiche un calme olympien. Il reconnaît que lors de sa première opération, alors qu’il était supervisé par le docteur Woods, ses mains tremblaient, qu’il a du s’interrompre. Tout cela appartient au passé. Aujourd’hui, il s’approche d’un pas tranquille de la petite fille qui a beaucoup pleuré avant de sombrer dans une anesthésie complète, ce qui préviendra tout mouvement dangereux. Dans la « salle d’op », tout ce qui entoure la petite est de couleur verte, c’est-à-dire stérile, et une religieuse, ceinte de vert elle aussi, nous enjoint sévèrement de ne toucher à rien.

Faute de pouvoir disparaître dans le mur, nous retenant presque de respirer sous le masque, nous nous approchons de la table d’opération, où, de la tête bandée de Marguerite n’émerge qu’un œil minuscule, presqu’entièrement retourné. Avec des mains d’orfèvre, de peintre ancien, le docteur Socrate s’approche de cet œil, semble le coudre pour l’empêcher de bouger, le palpe comme un œuf et en retire une membrane gélatineuse, presque opaque mais encore claire. La religieuse commente à mi voix: « chez les vieux, qui attendent trop longtemps, la membrane est brune, presque dure… Plus difficile à enlever… »

Pour la petite, tout va très vite. La cataracte ôtée est remplacée par une sorte de capsule transparente, le sang est épongé, chaque millimètre de peau est désinfecté, le bandage est minutieux. Bien plus tard, Marguerite se réveillera sur son lit, la main dans celle de sa maman.

Pour le miracle, il faudra attendre.

C’est le lendemain que le docteur Socrate revient en scène, tant pour les Kasongo que pour Marguerite. Avec une assurance de magicien, il retire le pansement du vieux papa, qui retrouve enfin de visage de son fils. Il tend les bras et l’homme pleure, murmure « on a bien fait de venir, on repart demain… » »Méfiez vous de la poussière », recommande le docteur, qui suggère le port de lunettes de motards…

Marguerite, elle, est remise sur ses pieds avec précaution. Lorsque le bandage est enlevé, la maman est priée de faire quelques pas devant elle. Personne ne soutient tient la petite qui tend les bras en direction de sa mère, nul n’ose parler. Lorsque Marguerite, -qui ne voit pas encore très bien, il faudra quelques jours pour cela- se met à suivre sa maman et se met en marche dans le sillage de la jeune femme, chacun respire : « elle voit déjà, elle verra de mieux en mieux » prophétise le docteur Socrate.

Cela peut paraître idiot, mais avec nos yeux intacts et nos lunettes de luxe, c’est nous qui versons quelques larmes.

Dans les classes bondées de Lubumbashi, Lumière pour le Monde soutient les mal voyants

Colette Braeckman – Le Soir – le 19 février 2020

Lubumbashi, envoyée spéciale

Comme tous les établissements scolaires du Congo, le collège Saint Boniface, à Lubumbashi, déborde. Littéralement. A côté, le stade du célèbre club, le Tout Puissant Mazembe, le club des champions, ressemble, en dehors de ses matchs historiques, à un espace vide, sauf lorsque les gamins viennent d’entraîner sur un terrain qui appartenait autrefois à cet établissement catholique et auquel l’ancien gouverneur Katumbi a donné une autre vocation. Dans les salles de classe du primaire, les enfants se serrent à quatre sur les bancs puis à chaque récréation jaillissent dans la cour comme s’ils étaient mus par des ressorts. Le conseiller de l’enseignement primaire Kibale qui nous accompagne rappelle l’ampleur du défi : « depuis l’instauration de la mesure de gratuité de l’enseignement primaire, lors de la dernière rentrée de septembre, les écoles ont du absorber deux millions et demi d’élèves supplémentaires. Des gosses que, faute de moyens, les parents ne pouvaient envoyer à l’école ou qui en avaient été chassés faute de pouvoir payer, par mois, des montants oscillant entre 100 et 300 dollars destinés à améliorer les salaires des enseignants ou à entretenir les locaux. »

Cependant, malgré l’évidente surpopulation, le calme règne, les instituteurs comme Corneille écrivent soigneusement sur le tableau noir des formules de trigonométrie. A chaque requête de l’enseignant, des mains se lèvent pour déchiffrer et expliquer. Joseph, lui a le nez sur son cahier, trop occupé à scruter sa loupe pour penser à lever la main. Mais il suit cependant et John, le moniteur assis à côté de lui, a bon espoir de le voir réussir son année.

Dans une autre classe, de l’enseignement secondaire cette fois, Grodi, un ado de quinze ans, albinos, attend de recevoir un pupitre incliné qui lui facilitera la lecture. Son handicap visuel est de catégorie 3 et Fréderic, son moniteur, suit l’élève depuis le primaire. Durant les cours, il est souvent assis à côté de son pupille ; durant les récréations il l’aide à relire ses notes, il le fait réviser s’il le faut. L’élève et l’adulte partagent la même volonté de réussite et Grodi, très sérieux dans son uniforme bleu et sa chemise immaculée, élégant même s’il est encore un peu maigre, affiche déjà ses ambitions « je veux devenir avocat, pour pouvoir défendre les gens… Je sais que j’aurai beaucoup de travail… »

Dans la classe voisine, elle aussi surpeuplée, Kabinda, 13 ns, suit un cours de littérature africaine. Il déchiffre au tableau noir des citations de Bertrand Badié, d’Aimé Césaire, sait déjà ce qu’est la littérature panafricaine, cite des écrivains antillais… Béatrice, sa monitrice, est fière de ce gamin qui aime écrire, qui dévore les livres tant qu’il le peut. Cependant c’est avec une grosse loupe que l’enfant découvre ses auteurs préférés et il écrit lentement, avec application. Mais la jeune femme en est certaine : « il va réussir, ces enfants handicapés font preuve d’une incroyable volonté. »

Frédéric Ilunga, qui a le titre d’assistant technique dans le domaine de l’éducation inclusive, nous confirme que, parmi les enfants handicapés de la vue et qui sont suivis par des moniteurs itinérants et aidés par des loupes, des visulettes, des jumelles monoculaires, des pupitres surélevés, le taux de réussite scolaire est de 75%.

C’est l’ONG belge « Lumière pour le Monde » appuyée par la Coopération belge, qui prend en charge, outre le matériel, le salaire des moniteurs itinérants, qui passent entre les classes et suivent d’une année à l’autre les enfants qui ont des problèmes de vision. L’enseignement catholique absorbant au Congo 65 % des élèves, au Katanga c’est avec la coordination des écoles diocésaines qu’un accord a été passé. La Codebu recrute des enseignants volontaires pour ce type d’accompagnement et les affecte aux projets tandis que LDM assure le financement.

Durant longtemps, les handicaps visuels passaient inaperçus au Congo. Ils n’étaient pas traités ou, dans les villages, étaient considérés comme un effet de la sorcellerie. Cependant, les troubles de la vue affectent 10% de la population tandis que le pays ne compte que 200 ophtalmologues, une spécialité encore peu prisée.

C’est pour cela que Lumière pour le Monde, à la demande des autorités congolaises, devenues sensibles aux problèmes que pose la santé oculaire, se déploie dans quatre provinces du Congo, le Katanga et le Lualaba, Mbuji Mayi au Kasaï, Kalemié sur les rives du Lac Tanganyika, formant et suivant le travail des professionnels de la santé, fournissant du matériel. Lorsque nous demandons au coordinateur de LDM, le Docteur J.M. Mbenga, si son organisation collecte parfois de vieilles montures rassemblées en Europe, il éclate de rire : « nous n’en sommes plus là. Nous menons un travail professionnel, suivant des critères européens et avec des financements internationaux. Nous proposons des montures neuves, qui coûtent entre 5 et 30 dollars, gratuites pour les enfants et les démunis. Déjà nous collaborons avec la seule mutuelle de santé existant au Congo, celle des enseignants, en attendant qu’il y en ait d’autres… »

Pour Béatrice, qui, à Lubumbashi, est l’une des quatre enseignantes chargées d’encadrer 197 enfants, son métier est le plus beau du monde, une inépuisable source de bonheur : «mon travail, c’es d’essayer de rendre l’espoir à ces élèves qui naguère traînaient au fond de la classe…»

ADDIS ABABA / Mike Pompeo dénonce l’expropriation des terres en Afrique du Sud sans compensation

Peter Fabricius – 20 février 2020

AfriForum a salué l’avertissement du secrétaire d’État américain «qu’une expropriation sans compensation serait catastrophique pour l’économie sud-africaine et la population du pays».

Le secrétaire d’État américain, Mike Pompeo, a sûrement agacé Pretoria et a sans doute mis dans une situation difficile l’ambassade de son pays à Pretoria lorsqu’il a critiqué sans ambages mercredi le projet du gouvernement sud-africain d’exproprier des terres sans compensation mercredi, à titre d’exemple de l’échec des politiques socialistes en Afrique.

Pompeo, qui achevait sa première visite en Afrique en tant que secrétaire d’État, a peint un échec à la réforme agraire dans un important discours politique américain sur l’Afrique à la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique (Uneca) à Addis-Abeba, dans lequel il a fortement souligné les avantages de la libre entreprise comme seul chemin vers la prospérité économique de l’Afrique.

«La planification centralisée n’a pas fonctionné – regardez les expériences socialistes ratées des années passées au Zimbabwe, en Tanzanie et ici même en Éthiopie. Même maintenant, alors que nous sommes ici aujourd’hui, l’Afrique du Sud débat d’un amendement visant à permettre l’expropriation de propriétés privées sans compensation. Ce serait désastreux pour cette économie et surtout pour le peuple sud-africain.

«Les projets socialistes n’ont pas libéré économiquement les personnes les plus pauvres de ce continent. Mais nous tous – tout le monde dans cette salle – connaissons la bonne voie à suivre. État de droit solide et fondamental, respect des droits de propriété, réglementation qui encourage l’investissement. Vous devez obtenir les bonnes lois de base afin que les investisseurs puissent venir investir leur capital », a déclaré Pompeo.

Il y a deux ans, après que le groupe de défense conservateur AfriForum eut fait pression aux États-Unis et dans d’autres pays contre l’expropriation des terres sans compensation, le président américain Donald Trump a tweeté qu’il avait chargé Pompeo d’enquêter sur les «saisies de terres et de fermes» et le «meurtre d’agriculteurs» en Afrique du Sud.

Cela a énervé le président Cyril Ramaphosa et son gouvernement. Aucune enquête officielle – et certainement aucune conclusion d’une telle enquête – n’a jamais été révélée, mais des responsables américains ont laissé entendre qu’elle se poursuivait. Les critiques de Pompeo ont probablement perturbé la nouvelle ambassadrice américaine en Afrique du Sud, Lana Marks, qui s’efforce de désamorcer le brouhaha et de marcher sur la corde raide entre les critiques franches de Trump et la nécessité de rester en bons termes avec son pays hôte.

Elle a fait l’éloge de Ramaphosa et de son cabinet «de base» dans une récente interview avec Daily Maverick et a déclaré qu’elle était convaincue que la réforme agraire serait menée légalement et constitutionnellement..

Elle a été si positive à propos du gouvernement de Ramaphosa, y compris dans son approche de la réforme agraire, que les mêmes conservateurs blancs qui ont initialement félicité Trump pour son tweet sur la terre, ont récemment commencé à diffuser une pétition en ligne appelant Trump à rappeler Marks.

Et mercredi, AfriForum est de nouveau entré dans la mêlée, se félicitant de l’avertissement de Pompeo « que l’expropriation sans compensation serait catastrophique pour l’économie sud-africaine et la population du pays».

Le CEO d’AfriForum, Kallie Kriel, a déclaré que la déclaration de Pompeo «est un énorme coup de pouce pour la campagne internationale de l’organisation des droits civiques visant à mobiliser la pression internationale contre les plans du gouvernement sud-africain de mettre en œuvre son idéologie d’expropriation sans compensation.

«Étant donné que les États-Unis sont l’un des principaux partenaires commerciaux de l’Afrique du Sud, le gouvernement sud-africain devrait sérieusement prendre en compte l’avertissement de Pompeo et réaliser que les politiques idéologiques menacent gravement l’économie du pays. Avec des taux de chômage d’environ 90%, le Zimbabwe et le Venezuela sont la preuve que tout le monde sauf l’élite politique souffre lorsque les droits de propriété sont violés », a déclaré Kriel.

Il a déclaré qu’Ernst Roets, responsable des politiques et de l’action d’AfriForum, et Monique Taute, responsable des campagnes, venaient de lancer la partie américaine de la campagne #TheWorldMustKnow de l’organisation.

«Cela implique, entre autres, la mobilisation de la pression internationale contre l’expropriation sans compensation. Roets a déjà accordé une interview préenregistrée sur Fox News avec Tucker Carlson hier et visitera diverses autres institutions médiatiques, des leaders d’opinion, des politiciens et des groupes de réflexion aux États-Unis.

«Les investisseurs quittent les pays de leur propre gré lorsque les droits de propriété dans ces pays ne sont pas respectés. Les tentatives d’AfriForum pour générer une pression internationale, sont en effet de s’assurer que les investisseurs font pression sur le gouvernement sud-africain pour économiser les investissements », a déclaré Kriel.

Mercredi, dans une interview accordée au Daily Maverick de Gaborone, Mike McCaul, le républicain minoritaire de rang au comité des affaires étrangères de la Chambre des représentants des États-Unis, était d’accord avec Pompeo, affirmant que l’expropriation de terres sans compensation aurait «des résultats terribles pour l’économie. Cela découragera fortement l’investissement privé. »

Il a dit que lorsque les hommes d’affaires américains lui demandaient si l’Afrique du Sud était un bon endroit pour investir, il devrait leur dire, avec cette décision, « je ne pense pas. »

Devise de la RDC : « Justice, paix, travail » ou injustice, guerre, chômage ?

Fidèle Bwirhonde – Habari RDC – le 20 février 2020

La vérité est si terrible qu’il ne faudrait pas que mes propres oreilles m’écoutent. Je l’avoue, notre devise nationale a trahi mes espoirs. Depuis des années, je suis de ces Congolais qui attendent que finissent le chômage, la guerre et l’injustice, et qu’arrivent enfin justice, paix et travail. C’est ce que promet notre devise !

Une devise est l’expression de ce qui est de plus cher pour une nation. La liberté, l’égalité et la fraternité avant tout pour la France, par exemple. Et on sait combien les Français tiennent à ces valeurs et se battent pour que cela ne soit pas seulement écrit sur un papier ou dans un livre. On s’efforce à le vivre.

Ne m’en voulez pas. Mais au Congo, aujourd’hui, « Injustice, guerre, chômage » tendent à se substituer à « Justice, paix, travail » voulus par notre devise nationale.

Notre devise nous ment…

Malheureusement, les efforts des dirigeants de mon pays sont encore médiocres. Les discours et les promesses sont leurs points forts. Mais en tout cas, rien ne conforte la devise congolaise qui promet tout ce en quoi le peuple a cessé de croire.

La justice congolaise, ou plutôt notre justice, est des plus méprisées, des plus complaisantes et pas des moins corrompues. Certains n’y recourent plus, car comme moi, ils ont cessé d’y croire.

La paix ! Je ne crois pas l’avoir déjà connue. Et quel Congolais la connaît d’ailleurs ? Tel un conte de fées, on me la raconte. Mais toute ma vie n’a jusqu’ici été que survie. Car la RDC n’a su m’offrir que des plateaux de guerres. Les humanitaires en savent quelque chose, même si notre malheur fait parfois leur bonheur.

L’emploi, c’est un autre luxe. Des chiffres de l’année dernière indiquent qu’il y aurait environ 70% des Congolais au chômage. Tout comme la justice, se trouver un job en RDC est aussi compliqué que trouver le chemin du paradis. Il faut parfois renoncer à sa dignité, la céder contre un travail. Et là encore, notre devise a menti.

Devrait-on changer de devise ?

Une devise ne devrait pas être qu’un slogan, mais plutôt l’expression des aspirations d’un peuple, choisies pour guider, rythmer sa vie. Et même sans y parvenir totalement, les efforts des dirigeants et à travers les efforts de tous, pour donner vie à la devise nationale, doivent être remarquables et concrets.

Et là, je me demande s’il ne faudrait peut-être pas changer notre devise qui est en déphasage total avec notre quotidien. Mais, j’ai compris que cette devise ne pèche en rien, en elle-même. Ce sont les dirigeants qui l’oublient ou ne comprennent pas combien il est nécessaire de s’y conformer.

Je me permets simplement de croire que l’avenir surprendra ma progéniture si moi j’ai tout loupé. C’est cela qui m’encourage à me refaire un peu d’espoir qu’un jour, ces dirigeants comprendront qu’ils poignardent la République chaque fois qu’ils trahissent ses aspirations portées par la devise nationale.

Ma réflexion sur les sorties vidéos du pasteur Mukuna

Fweley Diangitukwa – Auteur de « Qu’est-ce que le fweleyisme ? La voie à suivre pour rendre le pouvoir au peuple », Paris, éditions Saint-Honoré, novembre 2019 – le 20 février 2020.

Depuis quelque temps, il y a des compatriotes qui font circuler les vidéos du pasteur Mukuna qui tient un discours sanglant envers l’ex-chef de l’Etat Joseph Kabila. Si le discours qu’il tient est acceptable dans sa globalité, il faut admettre qu’il suscite un nombre considérable de questions, du genre : mais où était-il et qui soutenait-il auparavant pour apparaître seulement maintenant avec son discours virulent ? Que faisait-il et que disait-il pendant que les prêtres et les religieuses étaient régulièrement assassinés à l’Est du Congo, pendant que nos compatriotes étaient régulièrement égorgés à Beni et ailleurs, pendant que les adeptes de Muanda Nsemi et du pasteur Mukungubila étaient massacrés, pendant que le même Muanda Nsemi invitait les Congolais à marcher contre le régime tyrannique de Kabila, pendant que le régime de M. Kabila bombardait les adeptes de l’UDPS dans leur permanence de Limete, pendant qu’on massacrait les adeptes de Kamuisa Nsapu dans les grand Kasaï, pendant que nous écrivions « Les Congolais rejettent le régime de Kabila »(éditions Monde Nouveau/Afrique Nouvelle 2015) et que Lambert Mende se moquait de nous sur les antennes de la Voix du Congo (RTNC) qu’il croyait être sa télévision privée, pendant que le PPRD tuait sans aucun état d’âme ceux qui protestaient contre la tyrannie en marchant dans les rues de Kinshasa ? Avec qui était-il pendant que le cardinal Monsengwo, le pasteur Ekofo et les autres pasteurs prenaient des risques considérables pour dénoncer les crimes du régime de M. Kabila ? Qui soutenait-il pendant tout ce temps ? Pourquoi sort-il du silence seulement maintenant et pas avant ?

Qu’il dénonce le deal FCC-CACH est une très bonne chose et il doit être encouragé pour cela. Mais pour quelle raison ne dénonce-t-il pas le deal entre Félix-Antoine Tshilombo Tshisekedi et Vital Kamerhe à Nairobi et le deal entre Félix-Antoine Tshilombo Tshisekedi et Joseph Kabila à Kingakati qui ont été à l’origine du deal FCC-CAH ? Pourquoi choisit-il d’être grotesquement sélectif ? Qu’est-ce qui explique la dissonance cognitive (n’entendre que ce qu’il désire entendre en fermant ses oreilles à tout le reste) qu’il a pratiquée avant sa sortie ?

A-t-il librement choisi de privilégier la coterie à la place de la nation ? Si le compatriote Félix-Antoine Tshilombo Tshisekedi n’a pas été nommé au poste de président de la République par son prédécesseur, le pasteur Mukuna aurait-il tenu le même discours avec la même violence ? Pourquoi oublie-t-il volontairement que M. Corneille Nangaa, président la CENI (a-t-il déjà été démis officiellement de ses fonctions ? Pourquoi traîne-t-on à se prononcer sur son sort ?) n’a jamais publié les résultats de l’élection présidentielle bureau de vote par bureau de vote, conformément aux exigences de la Loi électorale, pour rendre crédibles les résultats qu’il a proclamés très tardivement la nuit au moment où les Congolais dormaient – résultats qui ont été confirmés par la Cour constitutionnelle sans avoir au préalable reçu les résultats des bureaux de vote (preuves) de la CENI ? Pourquoi cette complaisance pour une personne qui se dit pasteur et qui prétend être un envoyé de Dieu et porteur d’un message de ce dernier ? De quel Dieu parle-t-il ? Son Dieu privé ou celui que tout le monde prie qui est un Dieu juste ? Si la CENI a reconnu celui que le peuple a élu dans le respect total des bulletins de vote (la somme de tous les bureaux de vote), aurait-il reconnu celui-ci et l’aurait-il soutenu avec la même énergie ? Est-il permis de postuler que le pasteur Mukuna s’inscrit sans la poursuite de ses intérêts égoïstes en choisissant d’être du côté de celui qui a aujourd’hui le pouvoir quelle que les conditions de son arrivée sur le trône, comme il avait choisi auparavant d’être aux côtés de celui qui avait ravi la victoire de Jean-Pierre Bemba en 2006 et d’Etienne Tshisekedi en 2011 ? Son choix actuel est-il le résultat d’une réflexion rationnelle ou plutôt cynique, c’est-à-dire égoïste ? Que doit doit-penser ?

Ceux qui invitent les Congolais à suivre la voie choisie par le pasteur Mukuna peuvent-ils nous donner des réponses cohérentes et sans parti pris aux questions soulevées ci-haut ?

Tout en saluant sa prise de conscience tardive, je reste dubitatif pour deux raisons : le pasteur Mukuna est très sélectif (il ne retient que le deal qui l’intéresse et oublie les deux autres deals précédents qui ont été à l’origine du deal qu’il dénonce). De ce fait, il ne s’inscrit pas dans une démarche sincère et honnête. Dieu ne nous demande-t-il pas d’être justes ? En plus d’être sélectif, j’ai déjà dit que le pasteur Mukuna pratique la dissonance cognitive qui conduit à induire en erreur ceux qui ne maîtrisent ni l’évolution des événements ni la psychologie sociale. En politique, c’est par la constance que l’on juge le comportement et le degré de sérieux d’un acteur.

Le maréchal Mobutu n’a jamais été une référence pour moi, mais dans son discours du 24 avril 1990, il a avancé une réflexion qui mérite d’être rappelée : « […], j’estime que le changement qu’ensemble nous allons conduire dans ce domaine devra éviter les erreurs du passé […] Nous devons surtout éviter que le multipartisme ne devienne au Zaïre synonyme de multitribalisme. Le multipartisme doit être considéré comme la manifestation d’une volonté réelle de dépassement des tendances tribales, régionalistes et séparatistes ».

Congo 1960 – 2020, épisode 3 : le 20 février 1960, la fin de la table ronde – le pari congolais des Belges, pari perdu

RTBF – le jeudi 20 février 2020 à 09h28

La Belgique ose le  » pari congolais  » : un pari qui sera perdu…

Ce samedi 20 février 1960, au Palais des Congrès, à Bruxelles, c’est l’ambiance des grands jours, avec sourires et soulagement : la Table ronde se termine sur un accord complet entre les délégués belges et congolais. À la fin d’un mois de travaux, les Congolais ont gagné sur quasi toute la ligne : l’indépendance aura lieu le 30 juin, et ce sera une indépendance totale. Mais restent beaucoup d’incertitudes et d’inquiétudes, et les structures du futur Congo constituent d’elles-mêmes des risques majeurs d’instabilité.

Il reste quatre mois et quelques jours pour organiser les élections, mettre en place le Parlement et le gouvernement, et désigner un chef de l’État. Le gouvernement belge appellera cette course contre la montre le  » pari congolais « . Les délégués congolais ont la certitude d’avoir conquis leur indépendance, même si la Belgique a cédé pouce par pouce.

La séance de clôture de la Table ronde, dans la salle Europe de l’Albertine, se déroule dans un climat quasi euphorique. Les délégués congolais, après un mois de lourde méfiance, se réjouissent du résultat. Grâce à leur stratégie de  » front commun « , ils rentreront au Congo avec des résultats substantiels. Du côté du gouvernement belge, c’est d’abord le soulagement : la Table ronde a abouti. Il fallait, en réalité, éviter coûte que coûte une crise coloniale. Il fallait donc réussir la Table ronde à tout prix, et négocier, quitte à céder. Les milieux politiques veulent se désengager. L’opinion publique refuse la perspective de la force et d’une guerre coloniale, comme en Algérie, sous le slogan  » Pas un centime, pas un soldat pour le Congo ! « . Les journaux et les milieux économiques se contentent de critiques et de mises en garde. Bref, côté belge, on croise les doigts, avec l’espoir que tout se passera bien par la suite…

Patrice Lumumba :  » La Table ronde a été dirigée par les Congolais « 

Patrice Lumumba, au nom de son parti, le Mouvement national congolais, remercie les Belges et décrit bien la dynamique de la négociation :  » Nous avons réclamé l’indépendance immédiate et inconditionnelle de notre pays. Nous venons de l’obtenir. […] La bonne volonté et la bonne foi des représentants belges ont été remarquables. Nous n’avons rencontré aucune opposition systématique de la part des parlementaires belges. Nous pouvons dire que la conférence de la Table ronde a pratiquement été dirigée par les Congolais, car chaque fois qu’ils se mettaient d’accord, les délégués du gouvernement et du Parlement belges s’y ralliaient. […] Le fait pour la Belgique d’avoir libéré le Congo du régime colonial que nous ne supportions plus lui vaut l’amitié et l’estime du peuple congolais. […] Aujourd’hui, nous allons oublier toutes les fautes du passé, toutes les causes de nos dissensions « .

Le socialiste Henri Rolin, dans l’opposition, a joué un rôle décisif pour rencontrer les revendications des Congolais. Son discours est bienveillant, et parfois paternaliste :  » Vous devrez vous assigner pour objectif l’éducation politique de vos populations. C’est une grande et redoutable aventure que celle qui vous attend. Dans beaucoup de milieux on aurait préféré – je serais même enclin de dire : j’aurais personnellement préféré – que nous eussions disposé de plus de temps pour vous familiariser avec les responsabilités nouvelles. Vous nous avez dit que c’était impossible, et nous avons reconnu qu’il était impossible de vous refuser de devenir un État pleinement indépendant. […] Soyez patients. Vous allez connaître des moments difficiles. Il y aura de temps à autre des erreurs. […] Soyez unis. « 

Le Premier ministre Eyskens lance un avertissement, mais sans donner aucune précision :  » En dehors de vos frontières, des hommes au regard envieux cherchent peut-être à tirer parti des moindres signes de faiblesse et de dissension « . Une allusion aux appétits français, à l’ouest, et britanniques, au Katanga minier. Le ministre du Congo lance, lui, un appel aux Belges du Congo :  » N’ayez aucune peur. L’avenir nous donnera raison dans la sécurité et la quiétude « . Ce ne sera pas le cas…

Le lendemain, un dimanche matin, le roi Baudouin reçoit les délégués congolais au Palais de Bruxelles. Il évoque l’œuvre  » généreuse  » de la Belgique au Congo et ajoute :  » Les déclarations que vous avez faites nous persuadent que vous appréciez à sa juste valeur tout ce que vous a apporté la Belgique « . Et le roi, sans parler explicitement des Européens, insiste sur la sécurité à assurer pour les personnes et les biens…

Joseph Kasa-Vubu, le leader de l’Abako (Alliance des Bakongos, dominante à l’ouest du Congo), n’assiste pas à la réception. Il a pris l’avion la veille pour Léopoldville. Il veut être le premier à rencontrer la population. Il est accueilli là-bas par la grande foule et est porté en triomphe comme  » le sauveur du pays  » : la campagne électorale a déjà commencé…

Les dés sont pipés et le terrain miné

La satisfaction de ce 20 février met fin à un mois de débats tendus…

Revenons un mois plus tôt, le 20 janvier 60, à l’ouverture de la Table ronde : les délégués congolais sont méfiants et sur le qui-vive. La première semaine de la conférence, jusqu’au 27 janvier, a été décisive. Les délégués congolais ont créé leur Front commun : Patrice Lumumba est sorti de prison et arrive à la Table ronde, l’ordre des travaux est bousculé comme le demandent les Congolais, l’indépendance aura lieu fin juin et, surtout, ce sera une indépendance complète, et pas l’ » autonomie  » imaginée par le gouvernement belge, ce qui était  » l’indépendance tronquée « , comme l’a rejetée Kasa-Vubu. Comme le déclare Daniel Kanza, de l’Abako :  » Personne ne peut partager un animal qui s’enfuit. Il risque d’en être de même de notre indépendance « . Les Belges ont cédé.

A partir du 27 janvier, reste à définir les structures politiques du Congo indépendant. Le travail est d’abord confié à deux commissions belgo-congolaises ; il sera mené de manière cohérente et efficace. Mais c’est un parcours miné où le gouvernement belge, à nouveau, fait tout pour conserver le maximum d’acquis. La discussion en plénière est passionnée, mais les délégués congolais restent dans le débat politique sans entrer dans les aspects juridiques. Ces questions les intéressent moins, et surtout, ils sont très peu outillés dans ce domaine. Le Congo ne compte en 1960 qu’une poignée de diplômés de l’enseignement supérieur. Il n’y a qu’un seul universitaire congolais à la Table ronde, Justin Bomboko, diplômé de sciences politiques et diplomatiques de l’ULB, en 1958… Ce sont les délégués ou les conseillers belges qui présenteront des solutions de compromis lorsque les Congolais se divisent.

Un climat tendu

Joseph Kasa-Vubu est revenu à la Table ronde, dont il avait claqué la porte fin janvier, le jour de l’arrivée de Patrice Lumumba. Les deux leaders sont souvent sur la même ligne. Kasa-Vubu est serein, mais toujours sur le qui-vive. Il exige par exemple dans un moment de forte tension que les termes  » pleine souveraineté  » accompagnent le mot  » indépendance  » : toujours la méfiance ! Le ministre belge De Schrijver cède sur-le-champ, mais il insiste sur la responsabilité et le risque pris par les Congolais en allant aussi vite. Il lance alors une phrase qui montre son inquiétude : « Pas question de faire par la suite le moindre reproche à la Belgique… »

Un incident grave oppose Lumumba et le Katangais Moïse Tshombe. Lors de la conférence, Tshombe défend à plusieurs reprises les intérêts économiques belges ; il conduira sa province minière à la sécession dès le 11 juillet 60, avec l’appui de la Belgique. Soudain, un délégué congolais accuse, sans citer personne, des conseillers belges de transmettre des notes, des  » petits papiers  » comme on les appellera, à des Congolais, qui les lisent aussitôt en séance. Comme le raconte l’historien de la conférence, Georges-Henri Dumont, c’est « une bombe à retardement, qui éclate le lendemain ».

Le lendemain, en effet, Patrice Lumumba, dans les couloirs, devant des journalistes, lâche un nom, et accuse Jean Humblé, représentant des colons du Katanga, qui conseille Tshombe. Le leader katangais est informé, il surgit, on entend des cris, une gifle part, et plusieurs Congolais doivent intervenir vigoureusement pour séparer les deux hommes.

Pendant la négociation, certains milieux politiques et économiques s’inquiètent. Dans certains journaux belges, on dénonce le  » lâchage  » du Congo, on parle même de  » farce « , ou de  » tam-tam pour un Congo défunt « . Le gouvernement belge s’inquiète et cherche alors à obtenir des Congolais des garanties pour les biens des Belges du Congo.

Baudouin Ier, roi du Congo indépendant ?

Le débat sur le chef de l’Etat est délicat. Le ministre belge du Congo estime normal que le roi Baudouin reste chef de l’Etat du futur Congo indépendant, cela au moins jusqu’à ce que le Parlement congolais adopte une constitution définitive :  » Je me permets de penser que le roi des Belges continuera à exercer les fonctions de chef de l’Etat au Congo. Il me paraît raisonnable « , précise Auguste De Schrijver,  » de prévoir un délai maximum de 24 mois « . Pour le ministre, la question du chef de l’Etat devait même rester en débat ensuite entre les gouvernements congolais et belges. Le gouvernement belge estime en effet que le texte adopté à la Table ronde est provisoire : il est toujours dans sa logique d’une  » autonomie « , et pas d’une indépendance totale… Le ministre du Congo soutient en séance qu’une tradition constante permet au roi d’être souverain de deux Etats – Léopold II l’a d’ailleurs été -, et le socialiste Henri Rolin, dans l’opposition, rappelle subtilement que le roi peut être souverain de deux pays si le Parlement belge l’accepte à la majorité des deux-tiers.

Plusieurs délégations congolaises, dont les chefs coutumiers et les partis dits  » modérés « , pro-belges, souhaitent conserver le roi comme souverain après l’indépendance. Les autres, les  » républicains « , s’opposent fermement à l’idée, tout en précisant  » avec beaucoup de tact « , précise Jules Gérard-Libois, que la personne du roi n’est pas mise en cause. Ils veulent que le chef de l’Etat soit désigné par le Parlement congolais : Patrice Lumumba assure que cette formule  » assure l’égalité entre la Belgique et le Congo. Personne ne veut la rupture avec la Belgique. Des accords étroits seront conclus sur un pied de parfaite égalité. Notre attitude à cet égard ne commande pas le maintien du roi à la tête du Congo « . Et Joseph Kasa-Vubu lance alors :  » Deux hommes ne peuvent s’asseoir sur la même peau de léopard « .

Le gouvernement belge cède du terrain en précisant que le roi  » accepterait  » de devenir souverain du Congo  » si cela répond aux vœux d’une grande majorité de Congolais « . Il n’y aura pas de vote. Le débat est donc clos.

Le juriste et homme politique François Perin, à l’époque conseiller d’un parti congolais à la Table ronde, interviewé en 2010, émet l’hypothèse que Baudouin Ier, fort de son prestige chez les Congolais depuis son voyage de 1955 au Congo, ait caressé cette idée. D’après François Perin, ceci expliquerait après coup le message du roi de janvier 1959, promettant par surprise l’indépendance du Congo : ce message était une initiative personnelle du roi, initiative couverte après coup par trois ministres, contrairement aux règles.

Ceci explique les curiosités du texte de la  » loi fondamentale  » (ce n’est pas une constitution), qui ne parle pas de la forme de l’Etat (ni une République, ni un royaume) et qui prévoit un chef de l’Etat (ni un roi, ni un président).

Le Congo, Etat unitaire ou fédéral ?

Une seule question sensible divise les partis congolais : le Congo indépendant sera-t-il un Etat unitaire ou un Etat fédéral ? Les partis congolais sont marqués par ce clivage : plusieurs partis, puissants dans leur région, comme au Katanga minier (la Conakat de Moise Tshombe, qui revendique le contrôle sur les mines) ou dans la province de Léopoldville (l’Abako, avec le port de Matadi et le barrage d’Inga) veulent un Etat fédéral, avec des Etats fédérés aux pouvoirs étendus. Le congrès des partis fédéralistes, avant la Table ronde, avait même lancé le projet d’une  » Union des Républiques d’Afrique centrale « . D’autres, comme le Mouvement national congolais – aile Lumumba sont sur ce point alliés objectifs des Belges, et plaident pour un Etat central fort.

Finalement, l’affrontement redouté entre Congolais est évité. Les plus radicaux sont marginalisés, et le gouvernement belge présente un compromis  » à la belge  » : un Etat unitaire, et des provinces aux compétences substantielles, avec un Parlement et un gouvernement provincial. La formule permet le compromis, et surtout elle écarte à première vue les menaces explicites ou voilées de séparatismes ou de sécessions.

Les  » équilibres  » institutionnels  » à la belge  » voleront en éclat en trois mois

Pour le reste, la Table ronde fait le choix d’un régime parlementaire, avec un chef de l’Etat qui  » règne mais ne gouverne pas « , comme en Belgique, et dont les décisions sont soumises à l’accord d’un ministre. En fait, les délégués belges et congolais voient les avantages des formules de partage du pouvoir, avec trois structures binaires. Au sommet : un chef de l’Etat et un Premier ministre, chef du gouvernement ; pour le pouvoir législatif, deux Chambres : un Parlement et un Sénat ; et pour le pays, deux structures : un Etat central et des provinces fortes. C’est quasi un copié-collé des institutions belges…

Mais ces trois  » équilibres  » sont fragiles et source de conflits potentiels. L’édifice volera d’ailleurs en éclat en quelques semaines. Le conflit entre le chef de l’Etat, Joseph Kasa-Vubu et le Premier ministre Lumumba s’ouvre dès le 30 juin, pour aboutir à la destitution du Premier ministre Lumumba par le président Kasa-Vubu en septembre 1960. Enfin, le Katanga, puis le Sud-Kasaï, feront sécession en juillet et en août 1960.

Le risque d’ »effondrement de régimes artificiels « 

Le juriste François Perin, militant wallon, est à l’époque substitut au Conseil d’Etat. Expert d’un parti congolais à la Table ronde, il écrit son scepticisme, dès avril 1960 :  » Le régime politique de la métropole s’est révélé être doté d’un prestige assez inattendu, même auprès de leaders congolais non suspects de complaisance à l’égard de la nation colonisatrice. Il est curieux de constater que la tentation d’adopter la forme d’Etat de la métropole est un phénomène constant des jeunes nations décolonisées. L’expérience est souvent décevante, les conditions historiques, économiques et sociologiques des nouvelles nations et de leur ancienne métropole étant profondément différentes. […] Les Etats africains ont besoin de gouvernements efficaces dotés d’une stabilité sérieuse. Transposer les régimes européens au sein d’un continent qui réalise des conditions très différentes, c’est aboutir à coup sûr à l’effondrement de ces régimes artificiels. Il serait désolant de pousser, par manque d’imagination, le jeune Etat congolais vers une faiblesse structurale qui engendrerait rapidement les coups d’Etat, les pronunciamiento militaires et les révolutions violentes. « 

L’analyse de François Perin est prémonitoire : le premier coup d’Etat de colonel Mobutu aura lieu en septembre 1960. Le Congo a déjà sombré dans les sécessions et dans la guerre civile.

Un gouvernement provisoire ?

Le dernier débat porte sur la transition. Comment associer les leaders congolais à l’exercice du pouvoir pendant les quelques semaines qui mènent à l’indépendance ? Plusieurs partis congolais, plaident pour un véritable gouvernement provisoire à Léopoldville, avec un Premier ministre belge et des ministres congolais. Comme le défend Thomas Kanza :  » Si la Table ronde politique s’était terminée par la constitution d’un gouvernement belgo-congolais présidé par le Premier ministre Van Hemelrijck, avec des ministres comme Kasa-Vubu, Bolikango, Bolya, Tshombe, etc., cela aurait déjà été une victoire ! Et ce gouvernement allait préparer petit à petit le pays pour l’amener à l’indépendance. L’indépendance serait alors venue un an, deux ans, ou trois ans plus tard, mais au moins nous aurions eu des Congolais préparés à la gestion de la chose publique ! « 

D’autres partis préfèrent, avec le gouvernement belge, élargir à des Congolais un  » collège exécutif  » formé auprès du gouverneur général du Congo belge. Il n’y aura donc pas de gouvernement provisoire, ce qui aurait été une meilleure formule de transition. Ceci s’explique par la méfiance entre partis congolais, et parce que le gouvernement belge veut que, jusqu’à l’indépendance, le centre du pouvoir soit à Bruxelles, et pas à Léopoldville.

Des leaders congolais demandent d’ajourner la date de l’indépendance !

Six leaders congolais, un par province, vont assister le gouverneur général et s’exercer à la décision politique.

Un des membres du Collège, Anicet Kashamura, pourtant leader d’un parti radical, nous révèle en 2000, avoir demandé à ce moment, avec deux autres collègues, d’ajourner l’indépendance, après avoir regretté le  » lâcher-tout  » des Belges :  » C’était une surprise de constater qu’à la Table ronde, il n’y avait aucune résistance des Belges. On veut nous donner tout de suite l’indépendance. Mais c’est comme si on nous disait : ‘Allez-y, prenez ! Si ça ne va pas, vous nous appellerez. Et si vous ne nous appelez pas, les autres viendront à notre place !’. À La Table ronde, nous devions obtenir un an de répit.

Oui, j’ai demandé l’ajournement ! Nous n’étions pas préparés, nous ne trouvions que des dossiers difficiles, surtout dans le domaine économique. On ne forme pas un grand fonctionnaire en trois mois ! Il aurait fallu nous donner au moins une année en plus pour former des cadres, faire l’inventaire. Si j’ai demandé ça, c’est parce que je vivais les choses de l’intérieur. Je voyais qu’aucun parmi nous n’était parfait. Lumumba avait des qualités mais aussi des défauts, Kasa-Vubu lui aussi, or c’étaient les deux grands leaders. En attendant un an ou deux, on pouvait peut-être trouver d’autres leaders… J’ai été soutenu par d’autres Congolais du collège exécutif.

Demander le report de l’indépendance, c’était aussi permettre à notre parti (le CEREA, implanté au Kivu) de s’étendre sur le Congo. Avec l’indépendance aussi vite, c’était accorder trop d’importance au parti pro-belge PNP (Parti national du progrès) et au parti de Lumumba, tandis que tous les autres étaient de petits partis provinciaux… « 

« Le pari congolais des Belges, un pari perdu »

Jean-Marie Mutamba, historien à l’Université de Kinshasa, interviewé en 2000, analyse ce qu’on a appelé en Belgique le  » pari congolais  » :  » C’est difficile de demander à un colonisateur de se saborder. Honnêtement, on n’a jamais vu ça. Je pense que le pouvoir colonial lui-même n’était pas prêt à faire ces réformes-là.

Je crois que la Belgique, à partir du moment où elle accepte l’idée de l’Indépendance le 30 juin, elle essaie de faire ce qui était possible. Les premiers Noirs sont associés à l’exercice du pouvoir, mais trois ou quatre mois, qu’est-ce que cela peut donner ? « 

– Les Belges ont raté l’Indépendance ?

 » Vous pensez qu’on peut trouver une autre formule ? D’ailleurs, les Belges eux-mêmes, ils parlaient du pari, le pari congolais. C’était un pari. Le pari a été perdu ! « 

– Cette indépendance est-elle octroyée par la Belgique ou conquise par les Congolais ?

 » Si on se place du côté belge, l’indépendance a été octroyée. Lorsqu’on se met à la place des Congolais, il n’y a pas d’autres mots : les Congolais ont vraiment le sentiment que l’indépendance a été conquise. Mais bien sûr, la Belgique a cédé pouce par pouce « .

Léon de Saint Moulin, historien de l’Université de Kinshasa, décédé il y a peu, après avoir vécu soixante années au Congo, relève les premières hypothèques sur l’avenir du futur Congo indépendant : « Il y a eu une précipitation à la Table ronde et par la suite. Ajoutez-y, au Congo, dans de vastes régions, un refus de collaboration avec l’administration qui a été néfaste ensuite après l’indépendance. Prenez, par exemple, l’habitude, dans certaines provinces, de ne plus payer les impôts. Cette mentalité ne se change pas facilement par la suite. Donc, cela a provoqué du désordre ».

– Certains disent  » indépendance mal préparée, décolonisation bâclée  » ?

 » Mais il est évident que ça n’a pas été préparé, qu’on croyait qu’elle serait pour beaucoup plus tard. Au moment de l’indépendance, il n’y avait en effet qu’une poignée d’universitaires. Et tous ceux qui ont dû prendre des postes de direction n’avaient pas la préparation qu’ils auraient dû avoir, ça c’est incontestable !

Chacun a été manœuvré en même temps qu’il manœuvrait. Je ne pense pas qu’il y avait un plan clair, ni d’un côté ni de l’autre, et il est certain que tout le monde a été dépassé « .

La stratégie des Belges : rester aux commandes !

La plupart des responsables belges espèrent une transition sans incidents. Et beaucoup de milieux politiques et économiques, à Bruxelles, imaginent, sans l’exprimer, une indépendance en trompe-l’œil : accorder l’indépendance, tout en restant dans les faits aux commandes. Aucun Congolais n’occupe de responsabilité importante : il n’y a pas eu d’africanisation progressive des cadres, et il n’y a que 25 diplômés de l’enseignement supérieur. Les Belges contrôlent toute l’économie du pays, l’armée et l’administration. Et les ministres congolais seront conseillés par des Belges…

Une deuxième table ronde, économique celle-là, devrait permettre aux intérêts belges de conserver les leviers économiques : c’est pour avril 1960. Et les Belges espèrent que les élections mettront au pouvoir des leaders  » amis « , ou même dociles : c’est pour mai 1960.

Des inquiétudes

Mais, à la Table ronde, certains Belges s’inquiètent pour la sécurité des personnes et des biens des Européens au Congo, et les responsables congolais lancent un appel aux populations pour que l’impôt soit payé et l’ordre public respecté.

L’émergence des partis congolais

Les Belges ont, pour la plupart, découvert tardivement, à la Table ronde, l’évolution rapide des élites politiques congolaises. L’opinion belge s’aperçoit que les délégués congolais ont négocié avec intelligence. Le gouvernement belge pensait maîtriser la manœuvre ; il a échoué.

Les partis congolais sont nés de la montée des revendications des populations congolaises installées dans les villes coloniales : les ségrégations raciale et sociale, le paternalisme, l’absence de réformes politiques. En 1956, un groupe d’intellectuels congolais publie le Manifeste de Conscience africaine, qui prône l’autodétermination et demande aux Européens de changer :  » Pourquoi certains Belges posent-ils le dilemme : ou bien tout dominer, ou bien tout abandonner ? Il faut que les Européens modifient leur attitude vis-à-vis des Congolais, mépris, ségrégation raciale, vexations continuelles, condescendance « .

La même année, l’Abako, jusque-là association culturelle des Bakongos, devient de fait un parti, en publiant en 1956 un manifeste exigeant d’ » accorder aujourd’hui même l’émancipation « . L’année 1957 connaît un bouillonnement politique et social. Le Mouvement national congolais (MNC) se crée fin 1958, avec Patrice Lumumba et Albert Kalonji, qui dirigeront les deux ailes du parti après sa scission.

Les revendications politiques s’étendent en 1959 aux vastes régions rurales, marquées par ce que le professeur Herbert Weiss appelle le  » radicalisme rural « . Les partis se multiplient et parfois se divisent ou s’éparpillent, souvent autour d’une personnalité et sur une base régionale. Par la suite, avant la Table ronde et jusqu’aux élections, se forment des  » cartels « .

Les partis politiques congolais se distinguent par différents clivages :

Un clivage entre partis nationalistes, partisans d’une indépendance immédiate et partis modérés, accommodants avec le régime colonial.

Un clivage entre partis unitaristes, partisans d’un Etat central fort, et partis fédéralistes, qui veulent des pouvoirs étendus aux régions, aux Etats fédérés.

Et un clivage entre partis nationaux, qui ont l’ambition de conquérir des électeurs dans tout le pays, et les partis régionaux, dominants ou même hégémoniques dans une des grandes communautés ou ethnies du Congo.

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© Dialogue, le samedi 22 février 2020

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