Carlos Kambale Benga : « La langue est l’expression d’une culture » (CongoForum)

BUTEMBO – Le 21 février a été consacrée par l’UNESCO la Journée internationale de la langue maternelle. C’est dans ce cadre que Carlos Kambale Benga, le chef des travaux de l’ISP Muhangi à Butembo dans le Nord-Kivu, répond aux questions de notre confrère Roger Mulyata de Top Congo FM.

Qu’est-ce que, au juste, la langue maternelle ?

Carlos Kambale Benga : « Littéralement, la langue maternelle désigne la toute première langue que l’enfant pratique à partir du cadre familial, entendu que sa mère est censée en être la principale enseignante. Bien évidemment, toute définition littérale reste lapidaire, simpliste, laconique… dans la mesure où elle ne répond pas à une gamme de sous-questions qu’elle suscite. En fait, il est légitime de se demander si chaque enfant peut avoir sa langue maternelle et s’il peut fonctionner avec plusieurs langues maternelles dans un même milieu ».

Le français, par exemple, peut-il être considéré comme une langue maternelle pour un enfant Nande vivant dans sa communauté ?

Carlos Kambale Benga : « La langue est l’expression d’une culture. Elle est le support acoustique qui véhicule toute la philosophie d’un peuple. C’est à travers elle qu’une communauté établie sur un territoire donné fait part de sa conception du monde et de sa manière d’affronter les réalités de la vie sur terre. Il n’est pas anodin que le plus souvent, la langue porte le même nom que le peuple qui la possède comme patrimoine. A ce niveau, il s’avère qu’un lien indestructible attache solidement langue, peuple, culture et espace. Cette réalité concerne surtout la langue dite vernaculaire, c’est-à-dire non encore assez sortie des limites traditionnelles qui l’ont vue naître ».

« Par ailleurs, la langue est un bien commun pour une communauté humaine déterminée. Implicitement, il paraît absurde ou paradoxal de parler d’une langue maternelle à caractère privé et en conflit avec la culture ontologique du locuteur. Ainsi, toute langue d’enfance n’est pas à prendre pour une langue maternelle. La langue maternelle peut même être apprise à l’âge adulte, sous forme de retour aux sources comme l’avait fait en son temps le Sénégalais Léopold Sédar Senghor. Peut-être faudra-t-il même remplacer l’épithète « maternelle » par un autre terme moins équivoque ».

Considérant la réalité de la ville de Butembo, quelle doit être la langue maternelle dans cette ville, entre le Swahili et le Nandé ?

Carlos Kambale Benga : « Par nature, la ville est une entité cosmopolite, un carrefour de personnes et de groupes aux origines culturelles diverses. A cela s’ajoutent les caractéristiques de la ville en Afrique, la course au modernisme et la très forte concentration des établissements scolaires ainsi que des églises. La fréquence des voyages à l’étranger et l’usage des outils de télécommunication procurent au citadin un esprit largement ouvert. En conséquence, en ville, il se rencontre une culture hybride traduite linguistiquement par des parlers du type sabir, créole, pidgin… qui sont en fait des manières de parler puisant à toutes les langues qui foisonnent dans le coin ou dans la tête de celui qui s’exprime sans se sentir obligé de se contrôler. Autant dire que l’authenticité linguistique n’est pas à rechercher en ville, mais dans un milieu culturellement homogène, en l’occurrence au village. En milieu urbain, l’habitant aux trousses des traces de ses ancêtres devrait s’attacher en priorité à la langue qui correspond à sa propre culture traditionnelle ».

« La ville de Butembo étant, donc, implantée en zone culturellement et linguistiquement Nande, le Nande est la langue-socle sur laquelle les autres viennent se greffer dans cet espace humain. S’il fallait donc absolument trouver une langue maternelle pour Butembo, le Nande aurait un large avantage sur les autres ».

Quels sont les défis auxquels fait face la pratique de la langue maternelle en ville de Butembo, et comment les surmonter afin que la langue maternelle soit effectivement pratiquée par les enfants qui ont tendance à l’ignorer ?

Carlos Kambale Benga : « Certes, la glottophagie existe. Par glottophagie, il faut entendre le fait pour une langue de dominer une autre jusqu’à l’anéantir, la faire disparaître. L’expression « langue morte » n’est pas un produit de l’imagination. Des statistiques sont même périodiquement établies dans ce sens.

Mais à l’allure actuelle, le Nande ne court pas de danger majeur. En effet, la principale cause de la mort d’une langue est son abandon par ses héritiers quelque peu complexés et disposés à s’en débarrasser, à s’acculturer. C’est lorsqu’on considère, collectivement et unanimement, la pratique de sa langue maternelle comme un indice d’infériorité sociale qu’on la perd et qu’on la laisse se mourir. Cela est loin d’être le cas pour les Nande, très jaloux de leur identité et de leur langue traditionnelle ».

© CongoForum – Roger Mulyata, 24.02.20

(Extrait de l’interview)

Image – source: UE

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