Les deux travaux de Tshisekedi; dissoudre l’Assemblée nationale et « neutraliser » Yuma (La Libre Afrique)

KINSHASA – Le président Tshisekedi menace de dissoudre l’Assemblée nationale. Le 15 mars, date de l’ouverture de la session parlementaire, est pointé au “stylo rouge” à cet effet. Les dissensions sont exacerbées entre les partenaires au pouvoir mais aussi au sein même des partis.

Les accolades entre le président sortant, Joseph Kabila, et son “successeur”, Félix Tshisekedi, le 24 janvier 2019, lors de la première passation de pouvoir pacifique en République démocratique du Congo apparaissent désormais comme une lointaine image du passé.

Depuis cette chaude journée de janvier, le climat n’a cessé de se détériorer entre les deux hommes et leur plateforme politique respective. Les premiers nuages sont apparus dès le mois d’avril 2019, à l’occasion du premier voyage de Félix Tshisekedi aux États-Unis. Là, loin de Kinshasa et de l’ombre tutélaire de Joseph Kabila, qui a conservé une majorité absolue tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, au terme d’élections présidentielle et législatives aussi douteuses que chaotiques, Félix Tshisekedi, adoubé par une administration américaine déterminée à en finir avec la mainmise de l’ancien régime, avait expliqué qu’il voulait “déboulonner le système dictatorial qui était en place”.

Près de dix mois plus tard, alors que les tensions n’ont fait que croître entre les membres de la plateforme Cap pour le changement (Cach) qui ont porté la candidature de Félix Tshisekedi et le Front Commun pour le Congo (FCC) bâti autour de la personnalité de Joseph Kabila, lors de sa visite à Londres, le président congolais promet de sanctionner les ministres (issus des rangs kabilistes) qui l’empêchent de mener sa politique et menace, dans la foulée, de dissoudre l’Assemblée nationale composée à plus de 70 % des membres de cette plateforme kabiliste.

Un discours qui séduit les membres de son parti, l’UDPS, qui acceptent mal les concessions qu’ils sont contraints de faire à leurs “alliés” kabilistes et des mots qui résonnent favorablement aux oreilles d’une communauté internationale, États-Unis en tête, qui intensifie sa pression sur le président congolais pour qu’il coupe les ponts avec son prédécesseur.

Washington a envoyé rapidement, dès le début de l’année 2019, des messages clairs à l’attention du (des) pouvoir(s) congolais, notamment, en sanctionnant Corneille Nangaa, le président de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) chargée d’organiser la présidentielle et les législatives. Dès le mois de février, lui et son vice-président Norbert Basengezi, notamment, sont interdits de visa pour les États-Unis, avant que Washington ne passe aux sanctions financières un mois plus tard, leur reprochant des détournements de fonds et d’avoir “sapé le bon déroulement du processus électoral”.

Albert Yuma comme symbole de la corruption

L’administration américaine met aussi son veto à la désignation d’Albert Yuma, le patron de la Gécamines, comme Premier ministre d’un futur gouvernement congolais. Kabila insistera, Tshisekedi tiendra bon. Il sait que s’il cède sur Yuma, il perdra tout crédit à Washington et qu’il pourra dès lors faire une croix sur l’aide vitale qu’il attend du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale.

Aujourd’hui, le nom de Yuma est toujours au centre des tensions entre Kabila et Tshisekedi, surtout depuis la médiatisation des largesses de “sa” Gécamines à l’égard de Dan Gertler, homme d’affaires israélien indissociable du pouvoir de Kabila et blacklisté par Washington. “Depuis son installation à la tête de l’État, Tshisekedi n’a rien fait pour stopper l’hémorragie de la Gécamines. S’il veut prouver qu’il entend mener une croisade contre la corruption, il doit poser un geste fort et sanctionner Yuma”, explique sous couvert d’anonymat une source diplomatique, qui insiste aussi pour que la dissolution de l’Assemblée nationale soit sur la table à la rentrée parlementaire du 15 mars prochain.

Fin de semaine, la présence de Dan Gertler était signalée à Kinshasa. Le businessman israélien qui a participé à l’installation de Kabila sur le trône de la RDC est devenu un intime de certains membres de la garde rapprochée de Tshisekedi. Frapper Yuma, aujourd’hui, c’est toucher Kabila et éclabousser Gertler. Un jeu de ricochet pas banal pour le locataire du pouvoir à Kinshasa.

La pression est donc maximale sur Félix Tshisekedi qui doit à la fois gérer les pressions externes qui exigent des changements plus rapides et en profondeur, mais aussi celles issues de certains membres influents de sa plateforme qui craignent en brusquant Kabila de perdre le bénéfice du “deal” passé avec lui après l’élection présidentielle et, enfin, la pression des kabilistes qui ne veulent pas lâcher leur pouvoir. Certains ont déjà dû mettre beaucoup d’eau dans leur vin. D’autres ont été obligés de partager avec des membres de Cach. On est loin du discours tenu en novembre 2017 par Henri Mova, alors secrétaire général du PPRD, quand celui-ci expliquait qu’il était hors de question de « partager encore un peu plus le gâteau ».

Depuis cette date, Henri Mova a quitté le secrétariat général du PPRD, le parti de Kabila (largement majoritaire au sein de la plateforme FCC). Il a été remplacé par Emmanuel Ramazani Shadary qui deviendra même, le temps d’une campagne catastrophique, le successeur désigné de Joseph Kabila.

Mais Ramazani Shadary n’a pas réussi son pari de prendre les rênes du pouvoir. La faute à qui ? Dans les rangs du FCC, plutôt que de fustiger la Ceni, certains, de plus en plus nombreux, pointent Shadary lui-même. Certains l’accusent même d’avoir « oublié d’investir » dans sa campagne présidentielle une partie des fonds reçus de la présidence. D’autres pointent son « arrogance » lors de cette présidentielle. Emmanuel Ramazani Shadary est devenu l’étendard de la Kabilie qui perd. « Il ne faut pas chercher ailleurs que dans son propre parti les rumeurs sur son débarquement d’un vol pour Bujumbura le week-end dernier et les accusations d’acquisition frauduleuse d’une maison de l’Etat en plein centre de Kinshasa », explique un membre du FCC mais pas du PPRD. Shadary gêne du monde.

Et les tensions au sein des familles de la majorité sont légion. Entre l’UDPS et l’UNC, ce n’est plus le grand amour. Entre l’UDPS et le PPRD – et donc le FCC -, c’est carrément la guerre froide. La base, celle-là même qui avait justifié que Félix Tshisekedi et Vital Kamerhe retirent leur signature du texte de l’accord faisant de Martin Fayulu le candidat unique de l’opposition et de Lamuka après la réunion de Genève le 11 novembre 2018, appellent aujourd’hui au divorce entre CACH et le FCC. L’installation à la présidence a-t-elle perturbé l’audition de Félix Tshisekedi ? La réponse ne devrait pas tarder.

Choix crucial pour Tshisekedi

Il reste 45 jours, jusqu’à l’ouverture de la session parlementaire (le 15 mars), au président congolais pour choisir définitivement son camp. La République démocratique du Congo est plongée dans une zone de turbulence inévitable qui inquiète ses voisins et tout le continent africain. Une instabilité née d’un scrutin honteux et d’une alliance intenable entre deux clans qui ont pensé qu’ils pouvaient imposer leur choix inique au monde entier.

© La Libre Afrique – Hubert Leclercq, février 2020

Image : Félix Tshisekedi
Source : DiaspoRDC

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