60 ans après l’indépendance du Congo : « Si nous sommes Congolais, aujourd’hui, c’est grâce à Léopold II » (RTBF)

Des universitaires à Lubumbashi.
Source: gouvernorat du Haut-Katanga.

KINSHASA / BRUXELLES – Ils sont ancien sénateur, chanteur, membre d’association, artiste ou encore étudiant. Si tous n’ont pas connu l’indépendance de 1960, ils ont un point commun : ils sont Congolais. Tous ont accepté de revenir sur ce moment de l’histoire de leur pays. Et le regard qu’ils portent, 60 ans plus tard, sur les conséquences de l’indépendance permet de percevoir leur réalité du quotidien.

Sinzo Aanza est écrivain et artiste visuel. Ce jour-là, il souhaite nous montrer une rue. A priori, rien d’extraordinaire. Il y a de l’asphalte au sol. Normal. Ce qui l’est moins apparaît quelques mètres plus loin : « Vous voyez, on vient de passer devant la maison d’un des membres du gouvernement. Juste après sa maison, l’asphalte disparaît et la rue redevient de la terre. » Une situation qui, pour beaucoup, illustrerait parfaitement les problèmes du pays. « De plus en plus de gens, même le citoyen lambda, savent qu’il y a une mauvaise gestion de l’argent. C’est pratiquement obscène quand vous comparez avec la vie de la majorité des Congolais. »

Pourtant, au soir du 30 juin 1960, date de l’indépendance, les Congolais espéraient mieux. Beaucoup mieux. Après des années de colonialisme, ils aspiraient à un avenir épris de liberté et de prospérité. Mais la réalité n’est pas vraiment celle espérée. « L’indépendance, c’était bien. Mais tous les problèmes et les désordres qu’a connus le pays viennent de cette indépendance qui n’était pas assez bien préparée », explique Florimond Muteba, Président du Conseil d’administration de l’ODEP, l’Observatoire de la dette publique.

A 70 ans, il se rappelle ce moment de l’histoire mais constate aujourd’hui les failles, présentes depuis des années. « Depuis tout ce temps, on a eu le temps de se ressaisir nous-mêmes. Mais on ne l’a pas fait. Ce n’est pas la faute de l’occident si 60 années après, nous sommes toujours au même niveau. C’est un faux discours que de dire ‘passez il n’y a rien à voir’, ‘laissez-nous faire ce que nous voulons de notre peuple’, ‘laissez-nous piller notre pays comme nous voulons’ ».  

« Grâce à la colonisation, on avait la paix »

A 86 ans, Leon Engulu était aux premières loges début 1960. Il était autour de la « table ronde » à Bruxelles, organisée à Bruxelles par le Roi Baudouin. Il était présent sur place, aux côtés du futur premier Président, Joseph Kasa-vubu, et du futur Premier ministre, Patrice Lumumba. « Nous trois, nous sommes des pionniers de l’indépendance, explique celui qui a été sénateur mais aussi ministre, sous Mobutu, notamment. Si nous sommes Congolais aujourd’hui, c’est grâce à Léopold II. Un étranger qui est venu pour rassembler nos peuplades qui vivaient séparément. Grâce à la colonisation, on avait plus de guerres tribales, c’était fini. Grâce à la colonisation, on avait la paix. » Lucide, il encense Léopold II, mais est aussi très critique envers lui-même : « C’est Léopold II qui a créé ce Congo. Bien sûr, avec beaucoup de fautes. Mais nous aussi, nous avons commis des fautes. Nous avons tué des innocents. »

Alors, qu’a laissé, 60 ans plus tard, l’indépendance du Congo ? Leon Engulu répond : « Je vais être franc. Pour moi, nous reculons. Nous avons reculé par rapport à l’héritage que nous avons reçu. A l’époque de la colonie, l’école était gratuite, les soins médicaux gratuits. Nous n’avons plus cela aujourd’hui. Et il y avait peu de chômage, très peu de chômeurs. »

Enseignement, emploi et jeunesse

L’enseignement. Pour beaucoup, le niveau n’est plus ce qu’il était. Et c’est un jeune qui le dit. « Quand les Belges sont arrivés. Ils ont construit des écoles et des universités. Cela a permis à nos ancêtres et leurs enfants de bénéficier d’une bonne éducation », explique Daniel Aloterembi, 25 ans et étudiant en dernière année à l’IFASIC. Homme de lettres, il déplore qu’ »une personne peut se dire licenciée en lettre, mais parfois incapable d’écrire une phrase en français sans faire de fautes. C’est pour moi une grande déception. Les autorités doivent tenter de relever ce niveau d’enseignement pour essayer d’avancer. C’est inimaginable de penser que nos parents qui ont fait des études moyennes ont un niveau plus élevé que nous. Nous devons nous interroger et voir comment remédier à ce problème. »

L’emploi. C’est en RDC l’un des grands problèmes et l’une des priorités des jeunes congolais. Eunice Etaka est juriste et membre de la Lucha. Ce mouvement citoyen congolais non-partisan et non-violent a été lancé le 1er mai 2012 à Goma, en RDC, suite à un ras-le-bol de jeunes choqués, indignés et révoltés par la situation de chaos général du pays. « 80% des jeunes sont au chômage. Que font-ils ? Actuellement, c’est le chaos pratiquement total tant sur le plan social, économique et politique », déplore-t-elle.

L’existence d’un mouvement citoyen comme Lucha illustre
les désenchantement des jeunes congolais.

« Malheureusement, la colonisation a pris une autre forme. Elle n’est plus officielle mais elle est devenue officieuse. Les pillages continuent mais sous une autre forme, poursuit la jeune Congolaise. La négociation de matière première est faite de non-sens. Le traitement du Congolais en tant qu’être humain pose un problème. Il est traité de manière inégale à l’intérieur et même à l’extérieur du pays ».

Pourtant, la jeunesse congolaise se mobilise pour tenter de faire bouger les lignes. C’est le cas de Prisca Manyala, Présidente des étudiants congolais : « Mon espoir pour le Congo, c’est d’avoir des autorités qui comptent sur leurs citoyens et des citoyens qui ont confiance dans ceux qui les dirigent. Un Congo fort, un Congo de confiance, un Congo uni où le tribalisme ne divise pas, où le régionalisme ne détruit pas. »

La jeunesse. C’est pour Florimond Muteba, Président du Conseil d’administration de l’ODEP, l’Observatoire de la dette publique, la clé d’un possible succès de la RDC : « Pour moi, l’avenir, il est dans cette jeunesse. C’est elle qui va nous aider à nous débarrasser de toutes les forces négatives qui sont en train de dominer le Congo. Toute cette classe politique médiocre, il faut qu’elle dégage. »

Soixante ans après l’indépendance, le bilan de la République démocratique du Congo est contrasté. D’un passé composé et compliqué, les Congolais espèrent désormais un futur simple, un pays prospère et une population apaisée.

© RTBF – Quentin Warlop, 28.06.20

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