Albert Kisonga et léloge de la colonisation (JP Mbelu)
Kisonga Mazakala nous transmet « ses convictions » après avoir disqualifié « certaines attaques de basse qualité » suscitées par la première partie de son étude. Il aurait souhaité se retirer de la discussion.
Heureusement ! Certains compatriotes lui auraient demandé de revenir à la charge pour alimenter les débats. Comment ? En transmettant des vérités à croire sans discussion ! Est-ce là le sens que notre ex-ambassadeur donne au mot débat ? Naurait-il pas contribué à lavancement de celui-ci en édifiant ses contradicteurs par un deuxième texte argumenté et montrant par exemple dans quelle mesure « les Lubakas » et plusieurs compatriotes de lEquateur au lieu dêtre considérés comme des « résistants » au « nouvel ordre tyrannique de Kinshasa » sont les ennemis de lunité du pays ?
Que notre ex-ambassadeur puisse éviter ce débat par la disqualification des points de vue autres que les siens sur les questions engageant notre devenir commun, il ne contribue aucunement à lenrichissement de la discussion sur notre pays. Au contraire, il aborde, dans sa dernière étude, des questions relançant le débat sur les limites de ses analyses quand il écrit sur le Congo.
Explicitons.
I. Mobutu, les forces néo-coloniales et lunité du Congo
Habitué à jeter les fleurs aux colons dhier et aux néo-colons daujourdhui, Kisonga Mazakala ne fait pas de lien entre Mobutu et les forces néo-coloniales. Il semble situer laction de Mobutu en marge de celle des néo-colons. Il note que « sur le plan du management, cest pendant la période coloniale, cest-à-dire celle de la forte unité territoriale, que le Congo fut le mieux géré. » Cest Mobutu qui a gâché cette unité. « Je crois que la plus grande erreur de Mobutu, nous avoue Albert Kisonga, est celle, pour des raisons politiciennes, davoir autorisé la résurrection de la territoriale des originaires en 1980, mettant un frein à lélan de brassage favorisé par une territoriale nationale. » Mais que vaut Mobutu sans le rôle de premier plan quil a joué, au cœur de lAfrique, dans « la guerre dite froide » ? Incriminer Mobutu au grand bénéfice de « ses créateurs », cest faire semblant doublier que les forces néo-coloniales doivent lefficacité de leur action à la collaboration de leurs hommes de lige dont M. Mobutu. Pour dire les choses simplement, Mobutu est un maillon de la chaîne des forces néo-coloniales chargées de torpiller lidée des pères de lindépendance sur lessence à lui conférer au Congo. Louer la colonisation comme moment de la réalisation de lunité nationale véritable, sattaquer aux forces néo-coloniales séparées de Mobutu pour fustiger leur sabotage de lidée de lindépendance telle que conçue par les pères de notre indépendance, cest se livrer à une lecture rectiligne de lhistoire de notre pays. Cest lire cette histoire comme si elle sest faite en des étapes indépendantes les unes des autres et oublier la visée de la colonisation comme système : perpétuer le vol des richesses des pays colonisés. Dans ce contexte, donner un salaire décent aux indigènes a servi dopium : endormir les indigènes afin quils ne soient pas capables de remettre en question un vol institutionnalisé.
Cet opium semble produire encore ses effets jusquà ce jour dans le chef de nos compatriotes qui, comme Kisonga, trouvent que Congo a été mieux géré sous la colonisation. Mieux géré pour le compte des prédateurs coloniaux, oui. Mais pas pour les fils et les filles de notre peuple. Ce système de prédation est à lœuvre jusquà ce jour. « Les cosmocrates » qui en sont les héritiers nont de compte à rendre quà eux-mêmes. (La lecture du petit livre du journaliste indépendant belge Miche Collon intitulé ‘Bush la cyclone peut aider M. Kisonga à remettre de lordre dans son esprit sur cette question.)
Nous ne le dirons jamais assez. La colonisation est un système complexe. Sa visée prédatrice na pas été partagée par tous ces « Blancs de bonne volonté » aimant le Congo et son peuple. Néanmoins, le niveau danalyse macro-dimensionnel de ce système nest pas à confondre avec le niveau micro-dimensionnel des relations ayant existé entre certains « Blancs de bonne volonté » et les Congolais. La colonisation, en tant que système de prédation est à classer parmi les paradigmes de lindignité. Ses revers comme ceux de toute médaille ne sont pas à mettre à son actif.
Donc, le refus de la partition du Congo en provincettes ne devrait pas nous conduire à garder notre scandale géologique dans létat où le colon nous la légué. Pourquoi ? Simplement parce que nous devons en faire « notre propre créature ». Il y a des infrastructures routières à créer et/ou à recréer pour favoriser une grande intégration congolaise. Nous nous connaissons trop peu et très mal. Le congolais moyen de nos villages ne connaît presque pas celui qui habite à lautre bout du pays. Les routes et les chemins de fer orientés vers la mer pour lexportation des productions minières du Congo vers lex-métropole nont pas été des facteurs favorisant le maximum de communication et déchanges inter-congolais. La plupart de congolais se connaissent à travers les clichés que véhiculent certaines de leurs élites pour des raisons souvent inavouées. Comme par exemple celui véhiculé par M. Kisonga Mazakala : « Les Lubakas » et les gens de lEquateur sont les fossoyeurs de lunité du pays.
Communication et échanges, tels sont certains lieux de brassage dont le Congo de demain pourrait se servir pour une fabrication responsable de son unité. Il ny a pas que les territoriaux qui favorisent ou étouffent la fabrication de cette unité. Les interstices de la fabrication de lunité sont divers et diversifiés : les mariages exogènes, la socialisation par lécole (par létude du civisme) et léglise, les voyages, le commerce, les partis politiques, les syndicats, etc.
Quand M. Kisonga accuse Mobutu davoir compromis lunité nationale, il ne pense quà une unité imposée de surplomb, den haut, par le politique. Non. Il ny a pas que cela. Dailleurs, une unité imposée den haut est plus fragile que celle qui se crée à partir des interstices servant de trajets dapprentissage aux compatriotes qui sy engagent.
II. Diviser le Congo, qui en a pris linitiative ?
A lire M. Kisonga Mazakala, il ressort que ses conseils moralisants ne font aucune allusion à lhistoire réelle. Il croit naïvement que la division du Congo en provincettes est une initiative congolo-congolaise destinée à assouvir les appétits de pouvoir et les égoïsmes des élites congolaises au pouvoir à Kinshasa.En effet, si les élites congolaises au pouvoir à Kinshasa participent de la mise en coupe réglée de notre pays, elles font souvent partie des réseaux mafieux internationaux où la chasse au Congo utile est une constante. Les multinationales font les membres les plus efficaces de ces réseaux. Elles créent leurs « petites mains politiques » au Nord comme au Sud pour réaliser leurs plans géostratégiques. Un article publié sur le site de Michel Collon ayant pour titre ‘Qui pille le Congo ? conforte cette thèse soutenue avec brio dans Crimes organisées en Afrique Centrale par Honoré Ngbanda.
La contribution des « petites mains du capital » à la rédaction de la Constitution de la troisième République participe de ce grand plan : faire du Congo un espace vague, exploitable à souhait. Des provincettes faibles, sans moyens de défense propres et viables seraient des proies faciles pour le marché mondialisé de la prédation. Pour aider notre compatriote, nous citons Marie-France Cros : « Des scénarios de partition sont évoqués au Pentagone où lon semble se résigner à leur inéluctabilité. En définitive, linitiative est venue en septembre 1996 des acteurs régionaux (Ouganda, Rwanda et Tanzanie dabord) dont certains, naguère, avaient hébergé des opposants congolais menant quelques petites opérations de déstabilisation aux marges du Zaïre. » (M.-F. Cros et F. MISSER, Géopolitiques du Congo (RDC), Bruxelles, Complexe, 2006, p. 111. La page 112 est encore plus explicite sur la question.)
Larticle cité plus haut (Qui pille le Congo ?) donne explicitement les noms des multinationales impliquées dans ce vol organisé.
Disons que notre problème en tant que Congo nest pas reconduire ce que dautres ont fait chez nous, mais de reprendre linitiative politico-économique, culturelle et spirituelle, sociale et historique de le refondation de notre pays. La reprise de cette initiative nest possible que moyennant de grandes ruptures : rupture avec la mentalité esclavagiste et avec tous ses avatars des paradigmes dindignité, rupture avec un « le nouveau désordre mondial » institutionnalisant le vol au grand dam des populations du Nord et du Sud, rupture avec une refondation du Congo conçue den haut par « quelques éminences grises » ne voulant souffrir daucune contradiction. La reprise de cette initiative se fera dans louverture à lautre dans sa diversité et sa pluralité. Dans des interstices où lunité se fabrique dans le coude à coude avec nos populations et avec les résistants à lordre mondial de la prédation.
J.-P. Mbelu